Les réserves naturelles, à l'avant-garde du mouvement des droits de la nature en France ?
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Les réserves naturelles, à l'avant-garde du mouvement des droits de la nature en France ?


Du 9 au 12 mai 2023, s’est tenu à Nîmes le congrès annuel du Réseau des réserves naturelles de France. Marine Calmet - présidente de l’association Wild Legal - y est intervenue aux côtés des représentants des commissions internes du réseau, pour apporter des réponses à la question suivante : “Les droits de la nature : une solution pour l’adaptation des réserves naturelles au changement climatique ?”. L’accueil enthousiaste des quelques 300 professionnels présents ainsi que les retours positifs de membres du réseau laissent penser que les réserves naturelles pourraient s’engager dans les mois à venir dans l’expérimentation concrète des droits de la nature.


La relation entre le Réseau des réserves naturelles de France (RNF) et Wild Legal s’est établie en octobre 2022, à la suite d’une première sollicitation pour l’anniversaire des 40 ans du Réseau. Grâce à la confiance - et même l’enthousiasme - des juristes de RNF, une matinée entière avait ainsi été dédiée aux droits de la nature lors de rencontres internes, entre les différentes commissions.


Cette fois, à l’occasion du congrès annuel, les avancées quant à ces réflexions ont pu être partagées avec le public, comptant de nombreux-ses gestionnaires de réserves, de parcs et de conservatoire venu-es de toute la France métropolitaine et d’Outre-mer.


Pourquoi les droits de la nature suscitent ils autant d’intérêt ?


Selon Daniel Gerfaud-Valentin, membre du bureau du RNF, des avancées concrètes pourraient être obtenues grâce aux droits de la nature, à la fois pour renforcer la protection à l’intérieur des réserves, mais aussi pour limiter les impacts négatifs venus de l’extérieur (pollutions, activités bruyantes, etc..). De cette manière, il s’agirait de créer, face aux dérèglements climatiques, des zones de “repli stratégique” pour la biodiversité. De nouvelles réserves pourraient notamment être créées, en intégrant dès le départ les droits de la nature dans leur régime, à travers la révision des décrets existants. Selon lui, les réserves ont toujours été un outil innovant. Ainsi, si elles montrent la voie dans la consécration de droits à la nature, cela pourrait faire boule de neige sur d’autres territoires.


Pour Sébastien Ansel, de la commission éducation et sensibilisation à la nature du RNF, le mouvement des droits de la nature permet de faire passer un message nouveau auprès du public, dans lequel l’humain retrouve sa place en tant que membre d’un milieu naturel, sous un prisme différent de la relation patrimoniale ou utilitariste. Ce discours permet de faire évoluer les mentalités et de provoquer une prise de conscience, d’une part quant à la responsabilité des êtres humains dans la protection du vivant, et d’autre part, quant à leur coexistence aux côtés d’autres entités qui composent leur écosystème. A ces yeux, il s’agit notamment d’une plus value quant à la formation des jeunes et des enfants dans les aires éducatives, afin de leur transmettre le goût d’être de véritables gardien-nes et porte-paroles de la nature.


L’intervention de Alain Ponsero, pour la commission scientifique du RNF était structurante. En effet, il a souligné que la science pourrait participer à l'essor et à la mise en œuvre des droits de la nature en objectivant, par des données techniques, les besoins essentiels des écosystèmes et des entités naturelles. Ce faisant, les juristes peuvent traduire ces connaissances en droits fondamentaux inhérents de la nature. Réciproquement, la reconnaissance de ces droits permettrait aux données scientifiques d’être mieux comprises et prises en compte dans les politiques locales. De plus, Alain Ponsero souligne qu’en s’appuyant sur une logique scientifique, la protection par les droits de la nature permettrait d’améliorer la situation des réserves, qui souffrent d’un “effet confetti”, car elles sont émiettées sur le territoire. Ainsi, il s’agirait de repenser un droit plus cohérent avec les spécificités écologiques et la continuité des écosystèmes. A la place d’un régime juridique qui soit essentiellement orienté vers un principe de protection patrimoniale, il appelle à concevoir un droit et une politique d’action par le prisme de la fonctionnalité, c’est-à-dire protégeant la capacité d'un écosystème à assurer ses cycles biologiques.


Pour la commission territoire et développement durable du RNF, représentée par Julie Bertrand, les droits de la nature représentent une possibilité d’inventer de nouvelles formes de gouvernance, dans lesquelles les habitant-es sont amenés à s’impliquer directement, à travers leur rôle de gardien-nes de la nature. En tant que directrice-conservatrice de l’Association de défense de la nature et de l’environnement des pays d’Agde (Adena), gérant la réserve naturelle du Bagnas, Julie Bertrand a exposé l’enjeu très concret qu’elle entrevoit sur un projet pilote autour de la sauvegarde des roselières. Ainsi, pour dépasser le statut actuel des réserves, mettre en œuvre les concepts liés aux droits de la nature avec les élu-es, citoyen-nes et autres acteurs de territoire, pourrait permettre de penser les actions en inter-réseau, ce qui renforcerait structurellement la protection de ces espaces.


Gaëlle Guyetant, représentant la commission géologique du RNF a pour sa part relevé l’intérêt des droits de la nature en ce qu’ils peuvent englober à la fois le vivant, au sens de la diversité biologique, mais également le “non vivant”, incluant notamment le patrimoine géologique. Elle a rappelé qu’en 1991 déjà, la Réserve géologique de Haute-Provence avait organisé sous l'égide de l'UNESCO, le premier Symposium international pour la protection du patrimoine géologique. Cette rencontre avait débouché sur l’écriture d’une “Déclaration internationale des Droits de la mémoire de la Terre”. Ce texte, à l’inspiration très proche des droits de la nature rappelle notamment que :


Notre histoire et l'histoire de la Terre sont intimement liées. Ses origines sont nos origines. Son histoire, est notre histoire et son futur sera notre futur.
Comme un vieil arbre garde la mémoire de sa croissance et de sa vie dans son tronc, la Terre conserve la mémoire du passé… une mémoire inscrite dans les profondeurs et sur la surface, dans les roches, les fossiles et les paysages, une mémoire qui peut être lue et traduite.
Le patrimoine géologique est le bien commun de l'Homme et de la Terre. Chaque Homme, chaque gouvernement n'est que le dépositaire de ce patrimoine. Chacun doit comprendre que la moindre déprédation est une mutilation, une destruction, une perte irrémédiable. Tout travail d'aménagement doit tenir compte de la valeur et de la singularité de ce patrimoine.

En élargissant le concept de nature au vivant et au non-vivant, la protection de la terre est renforcée, afin de ne pas se restreindre uniquement à la seule question du climat ou de la biodiversité. Pour Gaëlle Guyetant, cela pourrait provoquer une compréhension plus profonde des enjeux environnementaux chez les visiteurs des réserves. De cette manière, il s’agit notamment de combattre le “complexe de Golum”, un comportement très répandu, poussant les visiteurs à ramener chez eux un caillou ou bien une pierre ramassée dans les espaces protégés, sans prendre conscience de l’impact négatif de cet acte sur la protection de l’intégrité géologique.


Quelle sera la suite ?


L’ambition de l'inter commission du RNF est de poursuivre ses travaux, afin de pouvoir présenter d’ici le congrès 2024 une proposition de révision du décret encadrant le régime applicable aux réserves naturelles, pour y inclure les droits de la nature.


Pour la commission éducation, il s’agira également de concevoir de nouveaux outils pédagogiques pour enseigner les droits de la nature sur le terrain.


Plus globalement, le RNF souhaite mener ce travail collectivement avec les parcs, les conservatoires et les autorités de classement, afin de créer une coalition élargie sur la reconnaissance des droits de la nature.


Wild Legal a appelé les réserves à rejoindre le réseau de sites pilotes pour les droits de la nature, que l’association coordonne à l’échelle nationale. De nombreux gestionnaires ont déjà exprimé leur enthousiasme à l’idée de rejoindre cette expérimentation. Nous vous en dirons plus dans nos prochains articles de blog !

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