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En Équateur, le peuple résiste et dit « NON » aux menaces contre les droits de la Nature

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Dimanche 16 décembre, les Équatorien·nes ont rejeté à plus de 62 % la convocation d’une Assemblée constituante et la rédaction d’une nouvelle Constitution. Un vote sans ambiguïté, qui met un coup d’arrêt – pour l’instant – au projet du président Daniel Noboa visant à réviser en profondeur le cadre institutionnel du pays et les menaces que ce projet laissait planer sur les droits de la Nature consacrés depuis 2008.


Au-delà de l’enjeu national, nous avons suivi ce scrutin de très près, tant l’Équateur occupe une place singulière dans le paysage juridique mondial et dans le mouvement des droits de la Nature en France. Voici notre décryptage. 


Une consultation discrète mais déterminante


Depuis plusieurs mois, l’exécutif équatorien laissait entendre que la Constitution de Montecristi (2008) — l’une des plus progressistes au monde — nécessitait une « modernisation ». Dans les faits, une refonte aurait permis d’affaiblir ou de supprimer les droits constitutionnels de la Nature, reconnus à l’article 71 de la Constitution, de réduire les contre-pouvoirs institutionnels et ainsi d’encourager et de faciliter le développement des activités minières et pétrolières. 


Ce référendum constituait donc un moment décisif pour l’orientation du pays, à un moment où s'accumulent tensions politiques, crise économique et augmentation de la violence.


Un contexte politique marqué par la centralisation du pouvoir


Depuis son arrivée au pouvoir en avril 2025, Daniel Noboa a engagé une série de réformes accélérées qui ont suscité l'inquiétude des organisations de défense des droits humains, des défenseurs des droits de la Nature, des peuples autochtones et de la société civile.


Parmi les évolutions les plus controversées :


  • la fusion du ministère de l’Environnement avec celui de l’Énergie et des Mines, supprimant un contrepoids essentiel sur les activités extractives ;

  • plusieurs lois adoptées en urgence, dont certaines assimilent les organisations de la société civile à des entités potentiellement « déstabilisatrices ». Les comptes bancaires d’organisations de défense de l’environnement, notamment de la fondation Pachamama, ont été gelés.

  • une pression inédite sur la Cour constitutionnelle, publiquement désignée par le gouvernement comme un « ennemi du peuple » après avoir suspendu des mesures jugées potentiellement contraires aux droits fondamentaux ;

  • et par voie de conséquence, un rétrécissement de l’espace civique et une multiplication des risques pour les défenseur·ses de l’environnement.


Alors que le pays traversait une grève d’ampleur nationale, le gouvernement équatorien a présenté sa « Feuille de route pour les hydrocarbures », ouvrant près de 30 000 km² de l’Amazonie à de nouveaux forages pétroliers, y compris sur les territoires ancestraux de sept peuples autochtones, Andwa, Shuar, Achuar, Kichwa, Sápara, Shiwiar et Waorani. Pourtant, ces projets violent manifestement les droits des peuples autochtones, protégés par la Constitution et le droit international. 


Dans ce contexte, la perspective d’une nouvelle Constitution suscitait des craintes : non pas un simple ajustement juridique, mais un basculement institutionnel renforçant l’exécutif et affaiblissant les garde-fous démocratiques, en supprimant toute référence aux droits des Peuples autochtones et aux droits de la Nature. 


Les droits de la Nature au cœur des inquiétudes


Depuis 2008, l’Équateur est le premier pays au monde à reconnaître constitutionnellement les droits de la Nature — un principe selon lequel les écosystèmes sont titulaires de droits à exister, se régénérer et être restaurés.


Ces droits ont permis de freiner des projets miniers et pétroliers, comme l’a illustré la décision de la Cour constitutionnelle d’annuler les permis miniers octroyés dans la forêt de Los Cedros en 2021, pour violation des droits de la Nature et des droits des communautés locales. 


C’est grâce à ces dispositions juridiques innovantes que plus d’une cinquantaine de jurisprudences ont ainsi permis aux associations de défense de la Nature, aux Peuples autochtones et à de nombreuses communautés et organisations de la société civile d'obtenir des victoires majeures en Equateur (voir pour aller plus loin, voir l’ouvrage Droits de la Nature en téléchargement libre sur le site de l’AFD).


Ces droits ont également inspiré d’autres territoires, de la Nouvelle-Zélande au Canada, de l’Ouganda à l’Espagne. Et désormais, le mouvement des droits de la Nature est présent sur tous les continents et connaît ses premières victoires structurantes sur la scène internationale, comme récemment au Congrès mondial de l’UICN.


Une mobilisation sociale large et un désaveu pour la politique du gouvernement


La campagne précédant le scrutin a vu converger de très nombreux acteurs de la société civile : mouvements autochtones, organisations écologistes, artistes et une nouvelle génération de militant·es mobilisés sur les réseaux sociaux.


À l’issue du scrutin, il est clair que le choix du maintien du cadre constitutionnel actuellement en vigueur est un soutien affiché à la défense des droits environnementaux à un moment où, ailleurs dans le monde, les obligations climatiques et les garde-fous démocratiques font l’objet de reculs majeurs.

 

Pour l’Équateur, ce vote marque un frein au projet politique extractiviste de Daniel Noboa. C’est aussi le rappel que les droits de la Nature, loin d’être une « coquetterie juridique », sont devenus un élément structurant de la gouvernance écologique, un véritable levier au service des transformations systémiques nécessaires pour enrayer l’effondrement du vivant.  


Quelle leçon en tirer en Europe ? 


Cet assaut contre les droits de la Nature désormais déjoué, comment en tirer quelques apprentissages ?   


Nous vivons, en France et en Europe, une période de reculs écologiques majeurs, orchestrés par des lobbys industriels avec l’assentiment des gouvernements. En France, cette situation n’est pas nouvelle, mais fait douloureusement écho à la récente mobilisation contre la loi Duplomb ou encore le mouvement inédit de grève pour la défense de la Commission nationale du débat public et de la démocratie environnementale


Face aux reculs en Europe, Wild Legal a co-signé aux côtés de plus de 250 personnalités, syndicats, entreprises, ONG, universitaires, activistes, juristes, une tribune collective pour s’insurger contre le vote du Parlement européen qui démolit le devoir de vigilance des entreprises et demander aux États membres de tenir les digues face à la destruction de nos droits sociaux, des droits humains, de la nature et du climat.


Nous voyons s’installer un glissement dangereux, de l’État de droit vers l’État de marché, où les intérêts économiques priment sur notre santé et nos conditions d’existence. L’actualité équatorienne démontre que la constitutionnalisation des droits de la Nature peut être un rempart solide face aux alternances politiques et aux tentations néolibérales, une boussole éthique et juridique pour défendre les droits de tous les êtres vivants, humains et autres qu’humains protégés par un socle de valeurs prioritaires. 


Afin de répondre à l’urgence démocratique et écologique mondiale, les droits de la Nature se révèlent ainsi un levier indispensable pour agir et refonder nos institutions. 



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Pour aller plus loin, voir la note d’éclairage "Droits de la Nature et droits participatifs, comment faire entendre la voix des citoyennes et citoyens et celle du vivant", rédigée par Ilaria Casillo (ancienne vice-présidente de la CNDP) et Marine Calmet (juriste et fondatrice de l’association Wild Legal), et publiée en octobre 2025.



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