Convention citoyenne sur l’avenir de la Seine et ses usages : quel horizon pour sa personnalité juridique et ses droits ?
- Nicolas Le Pajolec
- 7 août
- 5 min de lecture
Le 6 juin dernier s’est tenue, devant le Conseil de Paris, la restitution de la Convention citoyenne sur l’avenir de la Seine et ses usages. Retour sur un temps démocratique fondamental en faveur de la reconnaissance d’une personnalité juridique et de droits pour la Seine.
L’idée d’accorder une personnalité juridique à la Seine n’est pas nouvelle. Face aux menaces croissantes que font peser sur elle de grands projets industrialo-portuaires, citoyen·nes, associations, collectifs et élu·es défendent la nécessité de reconnaître à la Seine des droits, à travers l’octroi de la personnalité juridique sans laquelle il est impossible de la protéger efficacement.
Écosystème vital et cœur battant de Paris, la Seine a été au centre d’un procès fictif organisé le 9 décembre 2024 par la Ville de Paris en collaboration avec Wild Legal. Soutenu par le Collectif des Gardien·nes de la Seine, ce tribunal symbolique a mis en scène les évolutions juridiques possibles et nécessaires pour protéger efficacement la Seine : lui reconnaître des droits. Parmi ces derniers, on retrouve notamment le droit d’exister, de prospérer et d’évoluer, le droit de jaillir et de s’écouler librement, ou encore le droit de ne pas être pollué.
Cette expérience pédagogique, promue au niveau international par le mouvement international des droits de la Nature et la GARN (Global Alliance for the Right Nature), de laquelle découle le programme national d’expérimentation pour la reconnaissance des droits de la Nature, portée par Wild Legal, a suscité un véritable engouement citoyen. Son succès a convaincu la Ville de Paris d’organiser cette convention citoyenne en mai 2025.
Un temps démocratique en demi-teinte

Tout comme les droits de la Nature se heurtent à de nombreux obstacles, la reconnaissance de droits à la Seine reste un long chemin. La Convention, initialement ambitieuse, a malheureusement été réduite tant sur le fond que sur la forme. Prévue sur plusieurs mois avec 200 citoyen·nes issu·es des différentes collectivités territoriales riveraines à la Seine, elle s’est finalement limitée à trois séances réunissant 50 citoyen·nes provenant uniquement de la Ville de Paris. Si cela traduit des difficultés d’ordre temporel, cela exclut toutefois une partie des citoyen·nes lié·es à la Seine, étant un fleuve qui s’écoule de ses sources situées au village de Source-Seine en Côte d’Or jusqu’à son embouchure au Havre. Se cantonner à des frontières administratives ne permet pas de considérer la Seine dans une logique écosystémique et fait du tort à la représentativité citoyenne de cette Convention, notamment lorsqu’on remarque que le Collectif des Gardien.nes de la Seine ne réunit pas seulement des citoyen·nes issus de la ville de Paris.
Cela dit, l’avis citoyen issu de ce processus s’avère riche et porteur d’espoir. Les participant·es se sont clairement prononcé·es en faveur de la reconnaissance d’une personnalité juridique pour la Seine et de l’octroi de droits. Reconnaissant la Seine comme un fleuve vivant indispensable à l’Humain et au milieu lui-même, ils appellent “grâce à une vision davantage écocentrée, (...) à veiller à la santé de la Seine, dans tous nos usages et grâce à une gouvernance différente.”
Les principes formulés dans cet avis rejoignent parfaitement les positions tenues par Wild Legal. Il convient de saluer le travail et l’engagement de ces citoyen·nes, qui, en seulement trois réunions, ont su appréhender les enjeux complexes liés à la protection juridique du fleuve.
Des propositions concrètes pour protéger la Seine
Les citoyen·nes de la Convention ont illustré un ensemble d’idées, conjointes à celles de Wild Legal, et de propositions relatives à comment mieux protéger la Seine.

Il est à noter que les citoyen·nes ont, de même que Wild Legal, exclu l’usage du terme de “bien commun" pour désigner le fleuve, dans l’idée qu’il ne correspond pas un objet devant être soumis ou non aux logiques de propriété, mais bien comme un milieu naturel à part entière.
En conclusion, les citoyen·nes expriment leur volonté d’“aller au-delà de la Seine” et de “changer de regard sur les droits de la nature”. Cette posture témoigne d’une compréhension profonde de la nécessité de transformer notre rapport à la nature et de “placer l’environnement au-dessus des intérêts particuliers et au cœur de l’intérêt général”.
Pour intégrer les droits de la Nature dans le débat démocratique national, les citoyen·nes avancent des propositions ambitieuses, telles qu’une convention citoyenne nationale sur les droits de la Nature, ou encore un référendum sur l’inscription de ces droits dans la Constitution. Si la première option semble plus réalisable dans le contexte politique actuel, ces propositions contribueraient à ancrer dans la conscience collective une nouvelle boussole politico-juridique, fondée sur la reconnaissance de la Nature comme sujet de droit et la nécessité d’intégrer sa préservation au sein d’une véritable responsabilité collective.
Et après : concrétiser la Convention citoyenne
Une fois ce temps participatif accompli, l’enjeu majeur reste sa concrétisation. Le principal écueil des conventions citoyennes est leur caractère non contraignant : elles n’obligent ni à des décisions politiques ni à des avancées juridiques concrètes.
Dans un contexte politique marqué par le recul environnemental, comment espérer voir un jour la reconnaissance juridique de la Seine ? La question a été portée plusieurs fois à l’Assemblée nationale, notamment à travers un colloque organisé par Wild Legal au Palais Bourbon sur la reconnaissance des droits de la Nature. Néanmoins, les obstacles politiques sont encore nombreux.
Élu·es, collectivités, citoyen·nes, associations et collectifs s’accordent pour faire de la France le deuxième pays d’Europe à reconnaître une personnalité juridique aux milieux naturels. En effet, suite à des pollutions majeures et une mobilisation citoyenne importante, l’Espagne a fait de la lagune Mar Menor, le premier milieu naturel européen dotée d’une personnalité juridique et d’une gouvernance propre, capable de le représenter devant la justice. Cependant, en France, les politiques publiques et législatives actuelles ne laissent guère entrevoir cette possibilité à court terme, même si une forte volonté citoyenne se développe de jour en jour.
Alors, comment traduire cette volonté en acte politique ? Comme nous le faisons déjà : le plaidoyer. Avec le soutien croissant d’acteur.ices engagé.es, nous œuvrons pour porter la nécessité de reconnaître des droits à la Seine et plus généralement à tous les cours d'eau, fleuves et rivières. Plus le soutien citoyen s’amplifie, plus cette perspective deviendra réalisable. Il s’agit désormais de trouver la bonne temporalité politique et de tout mettre en œuvre pour qu’un alignement favorable permette cette reconnaissance, qu’elle soit législative ou même constitutionnelle.
Le chemin est encore long, mais la direction est claire. Malgré les résistances, nous savons qu’il y aura une place pour une reconnaissance des droits de la Nature, notamment concernant la Seine. Attribuer une personnalité juridique, c’est permettre une protection adaptée aux menaces qu’elle subit et répondre au souhait démocratique de la protéger, mais c’est également remettre en question les logiques de gouvernance actuelles, en y intégrant des dynamiques et des politiques véritablement écocentrées.
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