Contribution collective - Plan national Santé environnement et Orpaillage illégal Guyane
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Contribution collective - Plan national Santé environnement et Orpaillage illégal Guyane

Dernière mise à jour : 9 déc. 2020



Présents signataires

Alors que la consultation du 4ème plan national santé environnement (PNSE4) a été lancée du 26 octobre 2020 au 9 décembre 2020, notre association Wild Legal s’associe à l’Organisation des nations autochtones de Guyane, Solidarité Guyane, Maiouri Nature Guyane, et Guyane Ecologie pour demander la prise en compte par les autorités publiques, dans le cadre de ce nouveau Plan, de la situation sanitaire critique affectant les peuples autochtones français situés dans la zone du Haut Maroni en Guyane et plus largement l’ensemble de la population guyanaise.



Contexte sanitaire de l’orpaillage illégal en Guyane

Depuis les années 80-90, l’utilisation du mercure dans les activités d’orpaillage illégal a entraîné une contamination importante des écosystèmes terrestres et aquatiques amazoniens. En 40 ans, ce sont des centaines de tonnes de mercure qui ont été déversées dans l’environnement, en particulier autour et dans le fleuve Maroni. Ce mercure met plus que jamais en péril les écosystèmes et avec eux les communautés qui en dépendent. Les scientifiques ont établi que le mercure rejeté dans le biotope aquatique est converti en méthylmercure (MeHg) par des processus microbiens naturels et s’accumule dans l’ensemble des chaînes alimentaires aquatiques. Ainsi, les peuples amérindiens, notamment wayana et teko, présents sur le Haut-Maroni, y sont particulièrement exposés : leurs repas sont composés quotidiennement de poissons carnivores situés en bout de chaîne alimentaire, dont la chair présente de fortes teneurs en mercure. Plus largement, l’ensemble de la population guyanaise se trouve concernée par cette intoxication, la consommation de ces poissons étant très répandue. Pour les habitants, le méthylmercure ingéré via l’alimentation pose un véritable problème de santé publique, notamment chez les femmes enceintes et les jeunes enfants, population les plus à risque.


Chez les jeunes enfants, particulièrement sensibles, les lésions peuvent être importantes avec, entre autres, des retards de développement psychomoteurs et du langage, et des troubles de comportement. Cette forme de mercure est aussi foetotoxique, le mercure de la mère traversant le placenta et étant véhiculé par le lait maternel. Cela peut conduire à des lésions du cerveau et du système nerveux chez le fœtus et l’enfant, et expliquer le nombre anormal de malformations néonatales et de grossesses non abouties dans les villages les plus touchés par le mercure. Depuis les années 1950, les observations menées par la communauté scientifique ont en effet révélé des symptômes neurologiques, sensoriels et moteurs similaires à la « maladie de Minamata ». Cette maladie tire son nom de la catastrophe qui toucha la baie de Minamata au Japon durant des décennies, du fait des rejets de métaux lourds dans l’environnement aquatique, en particulier de mercure, par une usine pétrochimique. Cette entreprise empoisonna des milliers d'habitants. Les symptômes se traduisent par une réduction du champ visuel ; une altération de l'audition ; des troubles de la sensibilité ; une altération de la parole (dysarthrie); une perte de coordination des membres (ataxie) ; des convulsions et tremblements ; et des troubles mentaux légers, notamment chez les enfants nés de mères contaminées.


Les premières études menées en 1994 sur la pollution au mercure en Guyane révèlent une contamination élevée, jusqu'à 12 μg/g (microgrammes de mercure/ gramme) de cheveux en moyenne dans la population wayana - la plus touchée - pour une limite sanitaire de 10 μg/g de cheveux recommandée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et de 2,5 μg/g pour les femmes enceintes (selon les recommandations du JECFA- Joint FAO/WHO Expert Committee on Food Additives). Encore aujourd’hui, des études sont réalisées de manière sporadique et mettent en évidence des résultats alarmants sans pour autant que des mesures de protection soient prises par les pouvoirs publics. L’ensemble de la population guyanaise est concernée par cette intoxication, même si de nombreux guyanais restent sous le seuil établi par l’OMS du fait de la possibilité de modifier leur alimentation et de trouver de la nourriture de substitution.


Aussi, la contamination de l’environnement guyanais et notamment de ses milieux aquatiques, met en péril le droit à la sécurité alimentaire des peuples autochtones, des autres populations amazoniennes et de l’ensemble de la population de Guyane.


Actuellement, seules des mesures de prévention sont mises en œuvre pour tenter de sensibiliser les Wayana, les Teko et autres populations touchées à la dangerosité de la contamination au mercure. Les femmes enceintes sont surveillées et bénéficient de conseils alimentaires afin d’éviter que le fœtus ne soit atteint par une contamination régulière due au poisson infecté consommé. Des affichages sont par ailleurs mis en place dans les dispensaires.


Néanmoins, il ressort des conclusions scientifiques et des circonstances locales que les mesures de prévention actuelles ne sont pas suffisantes pour protéger efficacement les populations amazoniennes, et en particulier les peuples Wayana et Teko, qui portent seuls la charge mentale et financière de trouver une alimentation de substitution. S’ajoute, du fait des 10 000 à 15 000 orpailleurs clandestins présents en forêt, le fléau du braconnage de la faune traditionnellement chassée. Les Wayana et les Teko sont, en ce sens, progressivement privés de vivres, sans option culturellement appropriée pour répondre à leurs besoins nutritionnels.

Nos propositions

Pour ces raisons, Wild Legal, l’Organisation des nations autochtones de Guyane, Solidarité Guyane, Maiouri Nature Guyane, et Guyane Ecologie demandent une prise en compte des propositions suivantes dans les politiques nationales de santé publique :


En matière de droit à la santé couplé au droit à un environnement sain


  1. Mettre en place un suivi régulier de la contamination des milieux et de la faune aquatique par le mercure ; en particulier des espèces consommées par les habitants du Haut-Maroni.

  2. Réduire le seuil admissible pour les femmes enceintes à 2,5 μg/g de cheveux au lieu de 10 μg/g de cheveux recommandé par l’Organisation Mondiale de la santé, avec une surveillance de l’ensemble des femmes présentant des taux de mercure supérieurs.

  3. Réaliser une évaluation des apports de mercure par l’allaitement maternel.

  4. Mettre en place d’un plan de surveillance populationnelle des expositions au mercure en priorité sur les populations des femmes en âge de procréer et de leurs enfants âgés de moins de 7 ans.

  5. Communiquer systématiquement les résultats des dépistages aux personnes concernées, en accompagnant ces chiffres d'une explication des risques pour la santé.


En matière de droit à l’alimentation couplé au droit à un environnement sain


  1. Mettre en place un dispositif de concertation avec les habitants, des scientifiques, des médecins et les pouvoirs publics afin d’élaborer des solutions locales visant l’autonomie alimentaire.

  2. Mettre en place des enquêtes régulières pour vérifier l’évolution de la situation sanitaire et alimentaire.

  3. Soutenir sur le court, moyen et long terme les projets communautaires d’autonomie alimentaire visant à atteindre une nouvelle forme de résilience alimentaire sur leur territoire.

  4. Fournir une aide alimentaire de substitution, pour les cas nécessitant une modification urgente du régime alimentaire dans l’attente de mesures prises à long terme. Cela pourra être nécessaire en cas de dépassement des seuils admissibles chez une personne, lorsque celle-ci est dépourvue de ressources financières suffisantes pour remplacer le poisson pêché localement par une autre source de protéine dans son régime alimentaire quotidien.


(Voir les fiches thématiques de notre campagne sur le droit à la santé et le droit à l’alimentation.)


Au regard de ces demandes, nous considérons que les objectifs et actions proposées par le projet de PNSE4 doivent être adaptés pour prendre en compte et répondre à la crise sanitaire et écologique touchant la Guyane française depuis plus de trente ans.


En effet, le projet de PNSE4 rappelle que l’exposition aux produits chimiques via l’alimentation et la contamination des sols sont des facteurs environnementaux de risques pour la santé. Il affirme également que la France est à l’origine d’avancées notables pour réduire l’impact des effets négatifs de notre environnement sur notre santé ; à l'origine d’une meilleure prise en compte des problématiques de santé/environnement à toutes les échelles du territoire ; et à la source du développement de programmes de recherche structurés sur cette thématique à travers les précédents PNSE adoptés. Or, à l’échelle de la Guyane française, les actions de lutte contre la contamination des habitants au mercure du fait de l’orpaillage illégal restent encore aujourd’hui largement insuffisantes et irrégulières. Les amérindiens des zones les plus touchées sont laissés pour compte. En ce sens, un plan national d’action prenant en compte les aspects sanitaires pour la protection des peuples autochtones de la République française et plus largement des populations guyanaises dans leur ensemble est nécessaire, et pourrait pleinement trouver sa place dans les orientations du PNSE4.


Plusieurs objectifs du projet de PNSE4 font en ce sens un écho particulier aux demandes formulées dans le cadre de notre campagne de lutte contre la contamination au mercure des peuples d’Amazonie française.


  • L’objectif 4 vise à une prévention et une promotion de la santé environnementale au plus près des territoires afin de lutter contre les inégalités territoriales de santé. Il intègre pour cela des thématiques de santé environnement pour lesquelles il n’existe pas de plan spécifique. Wild Legal regrette ainsi que la question de la contamination au mercure du fait de l’orpaillage illégal en Guyane Française ne soit pas prise en compte par le présent Plan et reste très insuffisamment développée à travers des plans spécifiques, tels que le Plan Régional Santé Environnement 2 de la Guyane.


  • L’action 1, « Connaître l’état de l’environnement à côté de chez soi et les bonnes pratiques à adopter », renvoie aux demandes formulées par notre coalition d’associations pour la mise en place d’un suivi régulier de la contamination des milieux et de la faune aquatique par le mercure, en particulier des espèces consommées par les habitants du Haut-Maroni, et pour une communication systématique des résultats des dépistages aux personnes concernées, en accompagnement ces chiffres d'une explication des risques pour la santé.


La solution proposée par le PNSE4, de création d’outils numériques dans le cadre d’une start-up d’État appelée « Écosanté », semble toutefois déconnectée des conditions réelles de terrain en Amazonie française en ce que de nombreux habitants n’ont pas d’accès aux technologies. Ces difficultés technologiques font obstacle à la mise en place d’actions concrètes sur ce territoire d’Outre-mer, et viennent alourdir les inégalités sociales et sanitaires touchant ce territoire, en contradiction avec les objectifs recherchés.


Dans la même idée, la mise en place du site « Agir pour bébé » par Santé publique France, pour informer des bons gestes à adopter pendant la période de grossesse et les 1 000 premiers jours d’un enfant, prive les femmes enceintes ou allaitantes wayana et teko, et d’autres villages amazoniens, du droit de disposer d’une information simple et fiable sur les bons gestes à adopter. En tant que public « non-connecté », une information adaptée en langue autochtone ou créole sur un support matériellement accessible en Amazonie devrait être attendue. Aussi, en raison de l’urgence sanitaire actuelle en Guyane, Wild Legal regrette que les campagnes ciblées par le PNSE4, qui doivent être mises en œuvre à destination des publics non-connectés, ne soient envisagées qu’à partir de 2023.


  • L’action 4 du Plan prévoit d'« Approfondir les connaissances des professionnels sur les liens entre l’environnement et la santé ». L’objectif est de permettre en 2021 l’intégration de la politique santé environnement dans la formation initiale des professionnels de santé grâce au service sanitaire des étudiants en santé (SSES). Wild Legal demande ainsi la déclinaison de cette action sur les territoires guyanais, afin de sensibiliser au mieux les peuples autochtones et l’ensemble des populations guyanaises touchées par le fléau du mercure.


  • L’action 5 « vise à proposer à chaque couple ou personne ayant un projet de grossesse ou chaque femme enceinte, dès le début de la grossesse, une évaluation des expositions environnementales, professionnelles et extra-professionnelles et la délivrance de conseils de prévention ». Cette action doit pouvoir bénéficier aux femmes d’amazonie française, enceintes ou en âge de procréer, en tant que publics les plus à risque face aux impacts sur la santé de l’exposition au mercure. Dans ce contexte, nos propositions complètent celles du projet de PNSE4. Ces demandes consistent à :


  1. Réaliser une évaluation des apports de mercure par l’allaitement maternel.

  2. Mettre en place un plan de surveillance populationnelle des expositions au mercure en priorité sur les populations des femmes en âge de procréer et de leurs enfants âgés de moins de 7 ans.


  • L’action 9 du PNSE4 vise à « prévenir et agir dans les territoires concernés par une pollution des sols ». En ce sens, le nombre de sites pollués ou potentiellement pollués du fait d’activités humaines anciennes ou actuelles doit nécessairement inclure les territoires du Haut-Maroni et d’autres zones guyanaises pollués par l’usage du mercure dans l’orpaillage illégal.


En ce sens, nous demandons à ce que :


  1. Le Haut conseil de la santé publique (HCSP) prennent en compte les besoins spécifiques des populations guyanaises et peuples autochtones touchés durablement et actuellement par la contamination au mercure de leurs écosystèmes, leurs sols et leurs moyens de subsistance. Cela implique pour ces communautés de bénéficier - comme ce sera le cas pour le reste de la population nationale - d’actions de prévention individuelles de réduction de l’exposition aux polluants des sols, d’une prise en charge et d’un suivi médical, en particulier des personnes à risques.


  1. Santé Publique France continue à collecter et analyser les connaissances scientifiques actuellement disponibles sur la contamination des sols au mercure et les effets sur la santé des populations, afin d’évaluer l’impact sanitaire des sols pollués sur les communautés vivant à proximité de ces sites.


  • L’action 15 du PNSE4 « Réduire les inégalités territoriales en santé environnement » s’inscrit dans l’application de l'article 1er de la Charte de l'environnement de 2004, où chacun « a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». Ce principe à valeur constitutionnelle s’applique alors à l’ensemble de la population française, incluant les autochtones et populations de Guyane dans leur ensemble en tant que citoyens de la République française. L’Etat doit pouvoir mettre en œuvre son devoir de réduction des inégalités territoriales en matière de politique sanitaire environnementale dans les collectivités du Haut-Maroni et dans toutes les collectivités de Guyane.


  • L’action 17 du PNSE4 vise enfin à créer un « Green Data Hub ». Wild Legal soutient que cet accès au public à des données environnementales se voulant exhaustives, neutres et transparentes doit également prendre en compte la problématique de la contamination des écosystèmes amazoniens français au mercure et de ses effets sur la santé des communautés environnantes. L’objectif est de promouvoir le développement de la recherche et de la connaissance sur ce sujet d’intérêt public.


Les signataires :

Wild Legal

Organisation des nations autochtones de Guyane

Solidarité Guyane

Maiouri Nature Guyane

Guyane Ecologie

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