Procès-simulé #6 : défendre l’Océan par la voix du droit
- alinetreillard
- 10 juin
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 10 juin

En marge des discussions internationales sur l’Océan, l’association Wild Legal a proposé ce samedi 7 juin une expérience immersive sans précédent pour défendre cet écosystème aussi incroyable que vulnérable. Pour l’occasion, l’amphithéâtre 202 de la Faculté de droit et science politique de Nice s’est transformé en tribunal administratif fictif.
Faut-il faire évoluer notre système juridique et accorder des droits à l’Océan ?
C’est la question qui a été débattue à l’occasion de cette audience simulée qui a réuni une centaine de personnes. Cinq étudiant·es en droit et élèves avocats se sont succédé à la barre, devant un panel de magistrates fictives présidé par Laurence Roques, avocate et présidente du groupe de travail “Environnement” au Conseil National des Barreaux, pour examiner la responsabilité de l’État dans la campagne d’abattage des requins à La Réunion.
Avant que les arguments juridiques ne viennent mettre en évidence les atteintes portées aux requins et à l’ensemble des espèces marines impactées par cette pêche non sélective, François Sarano, océanographe de renom, a rappelé non sans émotion, les liens d’interdépendance qui unissent les humains à l’Océan.
Cette introduction scientifique, complétée par les interventions des représentants des associations VAGUES et Longitude 181 ont permis à l’auditoire de prendre la mesure des enjeux de ce procès simulé. Didier Dérand, Président de l’association VAGUES, à la Réunion et Daniel Krupka, Vice-Président de l’association Longitude 181 et responsable du programme droits de l’Océan ont ainsi pu rappeler que le débat du jour était porté devant les tribunaux locaux depuis plus de 10 ans. 10 ans de procédure et de combats judiciaires, qui ont conduit à quelques victoires. L’abattage des requins a été suspendu par le juge administratif dans les zones les plus protégées de la Réserve Nationale Marine, mais il continue encore dans 55 % de son périmètre, et se poursuit aussi massivement en dehors.

Puisque la politique d’abattage disproportionnée des requins tigres et bouledogue sur l’île se poursuit année après année, mois après mois, ces victoires ont un goût amer. À ce jour, c’est 870 requins, 188 bouledogues, 682 tigres et 570 espèces dites accessoires, menacées d’extinction, qui ont perdu la vie.
L’expérience immersive d’un procès pour défendre l’Océan
Face à ce constat et à l'essoufflement des associations locales, Wild Legal a choisi de nouer un partenariat pour que ce combat intègre la 6ème édition de son programme pédagogique. De janvier à mai 2025, ce sont 28 étudiant·es en droit et élèves avocat·es venu-es de toute la France qui ont examiné les pièces. Entouré·es par une équipe pédagogique composée d’avocat-es et d’experts scientifiques, ils ont produit un travail d’écriture titanesque et se sont confrontés à l’occasion d’une session de plaidoiries le dernier week-end de mai. Les plus convaincant·es ont été sélectionné·es pour représenter les associations et le Préfet lors de la finale à Nice.
Faire avancer les droits de la Nature
Que pèsent les droits de l’Océan et des requins face à la campagne d’abattage qui sévit à La Réunion ? C’était la question centrale à laquelle devaient répondre les plaidoiries finales.
Violaine Du Pontavice, avocate depuis 25 ans et présidente de la commission “Droit et politique environnementale” du Comité français de l’UICN, a été la première à intervenir. En qualité de rapporteur public fictive, elle a conclu que le préjudice écologique était effectivement constitué dans cette affaire. Elle a notamment appelé les magistrates à :
reconnaître l’existence de la personnalité juridique de l’écosystème marin à l’échelle des eaux territoriales de la Réunion ;
reconnaître la qualité d’entité naturelle vivante sujet de droit au profit des espèces marines sauvages dont les requins.
Elodie Mélanie, Elise Mauduit et Emma Morales ont ensuite, tour à tour, cherché à démontrer la faute de l’État et la caractérisation du préjudice écologique causé par les activités de pêche.

Les représentants des intérêts de l’État , Samuel Rolland et Eliott Rolland, ont utilisé les 30 minutes suivantes pour défendre le programme de prélèvement. Bien que admettant son caractère discutable dès la première minute d’intervention, ils ont soutenu que l’autorité administrative avait adopté ces dernières années une approche évolutive pour concilier les intérêts que doivent défendre le Préfet, qu’il s’agisse du développement des activités économiques comme la protection de l’environnement.
Les tensions du droit de l’environnement, qui sont au cœur du plaidoyer de Wild Legal étaient alors posées. Il s’agit bien d’un droit éminemment anthropocentré, écrit par l’Homme, pour l’Homme, et qui admet la protection prioritaire des activités économiques et de loisirs au détriment de la protection du vivant.

Le replay est disponible ici : https://www.youtube.com/live/msGJ6NizTzY
Une audience simulée tournée vers l’avenir
La dimension pédagogique de la démarche suggérait des éclairages quant à la pertinence des arguments avancés par chacune des parties. Bien que les profils des magistrates fictives soient variés, les conclusions allaient toutes dans le même sens. Conférer des droits à la Nature devient un impératif éthique, scientifique, sociétal et juridique.
“Les droits de la Nature ne sont ni une utopie militante, ni un caprice purement symbolique, c’est une réponse normativement structurée à un vide juridique qui est réel”.
Marie Zaffagnini, Maîtresse de conférences en droit privé à l’Université Côte d’Azur.
Dernière étape de cette saison 6 : accompagner le dépôt du recours en justice
Le procès simulé est un programme de formation aux droits de la Nature et au contentieux environnemental pour les étudiant·es en droit, mais il est aussi et surtout un programme d’incubation pour le dossier étudié. À présent, place à la concrétisation. Un groupe de travail va se réunir dans les prochains mois et un recours indemnitaire devant le tribunal administratif de La Réunion sera prochainement déposé. Il intégrera les travaux des étudiant·es et défendra, auprès des juges, la reconnaissance des droits de la Nature.
“Il y aura dans les années à venir une mobilisation par le biais des magistrats. C’est aux avocats de leur donner des billes pour faire évoluer la jurisprudence”.
Laurence Roques, avocate et présidente du groupe de travail “Environnement” au Conseil National des Barreaux.
Le combat continue pour défendre les droits de la Nature
Vous aussi vous êtes engagé·e dans une lutte écologique et vous souhaitez l’inscrire dans le mouvement des droits de la Nature ? Vous cherchez à engager une procédure juridique ambitieuse, la visibiliser et la financer en promouvant l’intelligence collective ?
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