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Les droits du Vivant à l’Assemblée nationale : une avancée majeure pour le mouvement en France



Le 14 mai 2025, Wild Legal et la députée Chantal Jourdan ont organisé un colloque inédit au Palais Bourbon autour d’une idée ambitieuse : repenser en profondeur notre rapport au Vivant et aux milieux naturels par l’instauration de droits pour la Nature.


Une journée riche de réflexions, de retours d’expériences et de propositions concrètes, structurées autour de trois grandes tables rondes. Celles-ci ont démontré la nécessité de faire évoluer l’ordre juridique pour dépasser les logiques utilitaristes et patrimoniales auxquelles sont subordonnés les autres qu’humains dans le cadre juridique actuel.




Une introduction nécessaire : transformer notre droit et nos imaginaires. 


En introduction, Chantal Jourdan, députée de l’Orne, rappelle les raisons qui imposent la société et le droit à réparer leurs propres manquements : catastrophes écologiques, crise massive de la biodiversité et effondrement climatique, “ces phénomènes vont se multiplier si nous ne faisons rien”. Pourtant, le droit de l’environnement régresse et fait face à des vents législatifs contraires le remettant en cause, notamment dans les domaines agricoles et sanitaires. En réaction, et pour mener à bien la transition écologique de notre société, une nouvelle approche plus respectueuse et protectrice de notre environnement s’impose : les droits de la Nature.


“Le mouvement des droits de la Nature en France n’est pas un épiphénomène mais une transformation en profondeur de notre société qui est en train de s’opérer actuellement, collectivement et progressivement”. Marine Calmet, Présidente de Wild Legal, est revenue sur la nécessité fondamentale de changement du système juridique actuel, centré sur l’humain. Elle démontre l’idée selon laquelle il est nécessaire d’incorporer au sein du droit de l’environnement actuel les intérêts propres des milieux naturels et des autres qu’humains, afin notamment de freiner les volontés politiques de régression de la protection de l’environnement. En effet, le cadre légal actuel valide et programme des normes autours de logiques compétitives extractivistes allant à l’encontre des relations qu’entretiennent les humains avec la Nature. De la même manière que le modèle de développement, les institutions et conceptions juridiques doivent intégrer toutes les voix du Vivant (autre qu'humain) et sortir du système anthropocentré actuel. 


Intervenant⸱es et expert⸱es ont ainsi abordé autour de trois tables rondes les avancées et reconnaissances internationales des droits de la Nature ainsi que les expérimentations nationales pour interroger les perspectives de reconnaissances de ces droits en France. 

C’est dans cette dynamique que se sont déroulées trois tables rondes, dont la première constitue une immersion dans des expériences internationales pionnières des droits de la Nature.



Première table ronde : Quelles avancées des droits de la Nature à l’international ? 





Immersion dans des expériences pionnières à l’international des droits de la Nature où partout dans le monde, militant⸱es, expert⸱es et juristes se mobilisent et agissent pour initier des changements et faire évoluer les relations entre humain et autres qu’humains. 


Eduardo Salazar Ortuño, avocat et docteur en droit, est une figure de l’initiative législative populaire (IPP) espagnole aboutissant à une personnalité juridique pour la lagune Mar Menor, première entité naturelle à en obtenir une en Europe. Malgré son statut de protection de zone Natura 2000, l’effondrement de sa biodiversité par eutrophisation a révélé les limites du droit existant. Une initiative populaire a permis de recueillir plus de 500 000 signatures en 9 mois, aboutissant à une loi votée en 2022 reconnaissant les droits fondamentaux de la lagune par une tutelle assurant sa représentation en justice. En novembre 2024, le Tribunal constitutionnel espagnol affirme la compatibilité de cette reconnaissance avec la Constitution, toute personne pouvant désormais agir en justice pour la défendre, en tant que victime des dégradations humaines et fondement bioculturel vital. 


Edgar Mora Altamirano, Maire de Curridabat entre 2007 et 2018 et Ministre de l’Education publique au Costa Rica en 2018 et 2019, est aussi un pionnier dans la refonte des relations entre humains et autres qu’humains. Les pollinisateurs et d’autres éléments naturels ont reçu la citoyenneté d’honneur et deviennent acteurs de la gouvernance urbaine, afin de rétablir un lien avec les cycles naturels et remettre en cause les dynamiques urbaines anthropocentrées. Agents essentiels de prospérité pour l’environnement urbain, sa politique de réorganisation s’est divisée en quatre piliers : biodiversité, habitat, gouvernance et sentiments, dans un objectif de transformer les comportements en reconnectant l’urbanisme à la viabilité de la planète. 


Ces piliers de valeurs et reconnaissances internationales permettent d’élaborer des solutions et inspirent la France à différentes échelles, comme le fait le Comité français de l’Union Internationale de la Conservation de la Nature (UICN), et notamment Violaine du Pontavice, Présidente de la Commission “Droit et Politiques environnementales”. A travers une union de 1400 membres situés dans 140 pays réunissant gouvernements, sociétés civiles, peuples autochtones et collectivités locales, elle appelle à créer des politiques effectives de protections globales et locales de la Nature et démontre, notamment par sa liste verte, l’inefficacité des dispositifs actuels. Alors que des pistes émergent sur une gouvernance partagée pour introduire des gardiens et gardiennes aux aires protégées, elles sont très vite freinées par l’absence d’initiative politique ou judiciaire permettant l’institutionnalisation de ces avancées. Néanmoins, cela n’empêche pas l’émergence d’expérimentations concrètes sur le territoire national.



Deuxième table ronde : Quelles expérimentations des droits de la Nature sur le territoire national ?





En tant que juriste chargé de projets juridiques et de plaidoyer au sein de Wild Legal, Gaël Defins accompagne une diversité de sites d’expérimentation, des milieux naturels et des partenaires sur le territoire qui ont l’ambition d’explorer concrètement la reconnaissance des droits de la Nature. Des acteurs et actrices sont venus parler de leurs expérimentations et de l’importance de ces dispositifs.


François Gauthiez, Directeur de l’appui aux stratégies pour la biodiversité à l’Office Français de la Biodiversité (OFB), intervient du fait de son accompagnement dans les droits de la Nature, notamment par le biais du projet “humains, non humains”. Avec l’appui d’un cahier de recommandations citoyennes répondant aux enjeux de viabilité de la planète et à l’entremêlement des crises écologiques, il active plusieurs leviers pour faire avancer la reconnaissance de ces droits, par le biais de plusieurs volets dont font partie les droits de la Nature. Se traduit une volonté de construire les fondements d’un changement de regard sur le Vivant, par le développement de production de savoirs sur les relations entre humains et autres qu'humains, l’expérimentation de nouvelles manières d’être en relation avec le Vivant, la communication, la sensibilisation, et le développement d’outils pour faire évoluer les politiques publiques et les institutions. 


Blandine Calcio Gaudino, Directrice Ecosystèmes et innovation de la Banque des Territoires, est ensuite intervenue pour expliquer l’importance de l’accompagnement des différents acteurs locaux et institutions, notamment dans le cadre d’un plan stratégique abordant les enjeux gravitant autour de la biodiversité. À travers deux objectifs principaux : réduire l’impact des projets territoriaux sur la biodiversité et financer davantage de projets de restauration et de préservation des milieux naturels, elle coordonne un programme développé récemment, afin d’appliquer concrètement les droits de la Nature par sa représentation au sein de gouvernance comme cela est expérimenté dans le Parc naturel régional (PNR) du Massif des Bauges. Les besoins et intérêts naturels sont intégrés dans la Charte du parc pour représenter la Nature dans les processus décisionnels. C’est l’idée de la “biodiversité administrative” : des micro-parlements du Vivant où chacun porte la voix d’une espèce autre qu’humaine, permettant aussi de réaliser les besoins propres de chacun.


Cette idée citoyenne se rapproche de l’action réalisée par la Ville de Paris et la Convention citoyenne sur l’avenir de la Seine et ses usages. Pierre Rabadan, Adjoint à la Maire de Paris en charge des Jeux Olympiques et Paralympiques et de la Seine, rappelle les moyens conséquents de dépollution pour respecter la Seine en tant qu’entité naturelle vivante. Que ce soit la Convention citoyenne sur l’avenir de la Seine ou le procès fictif organisé par Wild Legal au Théâtre de la Concorde sur ce sujet en décembre 2024, il explique la volonté de déterminer les menaces actuelles qui pèsent sur la Seine pour adopter des nouvelles stratégies de protection et intégrer les intérêts de son écosystème par des propositions pouvant déboucher sur des avancées historiques de reconnaissance de droits accordés à la Seine. Cela fait écho au collectif des Gardiennes et Gardiens de la Seine qui, depuis 2021, est accompagné par Wild Legal pour mettre en réseau des acteurs impliqués dans la protection des droits du fleuve, de ses sources à son embouchure.


Pour finir cette table ronde, nous avons accueilli Daniel Gerfaud-Valentin, Membre associé de l’association des Réserves Naturelles de France (RNF) et Vice-Président de la Commission Professionnalisation et Police de l’environnement (PPE), à propos des droits de la Nature et leur intégration dans les réserves naturelles et aires protégées. Plusieurs commissions travaillent à travers des missions pédagogiques, territoriales, de police et de professionnalisation dans le but d’améliorer l’intégration des intérêts de la Nature au sein de la gouvernance des réserves. Depuis le vote d’une motion à l’unanimité lors d’un congrès de RNF, des expérimentations ont lieu au sein des réserves et des groupes de travail se développent pour intégrer progressivement les droits de la Nature au sein de ces aires protégées. Les textes anciens qui les réglementent ne concernent pas les nouvelles activités menaçant la biodiversité des réserves. Les droits de la Nature viennent donc compléter le cadre actuel pour garantir une meilleure protection que ce qui est prévu, et réfléchir aux possibles évolutions juridiques des statuts des réserves naturelles.



Troisième table ronde : Quelles perspectives pour la reconnaissance des droits de la Nature en France ? 





Dans un contexte où des institutions environnementales se retrouvent grandement menacées, où l’information et la participation du public, pourtant nécessaire à la protection des espèces et milieux naturels, est remise en cause, les réflexions émergeant sur la reconnaissance de la personnalité juridique de la Nature se retrouvent confrontées à cette réalité. Elles ouvrent toutefois des pistes révélant la nécessité de garantir l’effectivité de ces droits.


Ilaria Casillo, Vice-présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP), a répondu aux enjeux d’évolution des processus démocratiques compte tenu des volontés de reconnaissance des droits de la Nature. Le contrôle de la CNDP sur les droits participatifs du public permet un meilleur respect des procédures et donc de la protection de l’environnement du fait de l’information délivrée aux citoyen.nes. L’effectivité de ces droits réside dans la bonne information et participation du public créant les conditions d’un débat éclairé, pluriel, contradictoire et à l’écoute des intérêts de chacun.e. Les droits de la Nature ont ainsi vocation à être intégrés en réponse aux projets dangereux pour les milieux naturels. Cette conception d’intégrer la Nature au sein de l’intérêt général passe inévitablement par la reconnaissance d’une personnalité juridique envers la Nature pour la faire passer d’objet à sujet de droit.


La transition est faite avec Michel Tabbal, Docteur en droit et conseiller juridique environnement auprès de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) ; cette dernière ayant souligné dans un avis du 13 février 2025 l’insuffisance des Conférences des Parties (COP) en matière de droits humains et appelle à une diplomatie environnementale intégrée compte tenu des crises environnementales. Ainsi, il fait le lien entre les droits humains, comme le droit à un environnement sain, et l’apport que pourrait avoir la reconnaissance des droits de la Nature sur ce dernier. Le regroupement des droits humains environnementaux, comprenant le droit à un air pur, l’accès à une eau potable, une alimentation saine, le droit à un climat indispensable et le respect de la préservation de la biodiversité et des écosystèmes sont conditionnés à l’application et l’efficacité du droit de l’environnement, et des droits de la Nature venant le compléter et mieux garantir les droits humains. 


Fabrice Bonnifet, Président du Collège des directeurs du développement durable (C3D), de GenAct, et administrateur de The Shift Project, alerte sur les limites du modèle économique linéaire actuel et dénote un constat affligeant des modèles d’affaires d’entreprises extractivistes. Elles utilisent des matières, offertes par la Nature, dans une logique de performance et d’obsolescence programmée. Elles ont ainsi une responsabilité concernant les pics d’extraction des matières premières, l'érosion de la biodiversité et les émissions de gaz à effet de serre. Fabrice Bonnifet explique la nécessité de renverser les modèles économiques vers des dynamiques perma-circulaires à haute fonctionnalité et intensité d’usage des produits : il est nécessaire de rendre les produits robustes et de raccorder leur marché aux besoins d’usage pour tendre vers un système n’ayant plus besoin d’extraire constamment les matière premières. Son idée est donc d’inclure et d’imposer aux modèles d'affaires la régénération de ces matières, ce qui permettrait aux entreprises de comprendre la nécessité de réparer les préjudices qu’elles causent. Par un travail légistique, il est fondamental d’intégrer le capital naturel au système de comptabilité actuelle et au capital économique pour la viabilité des humains comme des autres qu’humains pour un principe pollueur-payeur réellement efficace.  


Cette table ronde s’est achevée par l’intervention de Laurence Roques, Avocate et responsable du groupe de travail “Droit de l’environnement” au Conseil National des Barreaux (CNB), afin de comprendre en quoi les droits de la Nature peuvent répondre aux enjeux actuels d’un point de vue de la pratique judiciaire. Elle insiste sur les limites du droit de l’environnement actuel : absence de sanctions efficaces, barrières à l’intérêt à agir des associations, et préférence donnée à la compensation plutôt qu’à la réparation en nature. 

La question de l’applicabilité se ramène à celle du droit de propriété : en détachant ce droit d’une catégorisation fondée sur la Nature, et en sortant ainsi de la logique des biens communs, on éviterait les conflits d’ordre juridique. Sur la question de la gouvernance, une forme collégiale et plurielle est à privilégier dans l’idée d’avoir un large panel des intérêts divergents et d’amener une intelligence collective qui permettrait le respect de l’ensemble des représentés. Il est ainsi crucial de permettre l’effectivité de ces droits, avec un accès renforcé à l’action préventive et aux référés, actuellement subordonnés à la condition d’urgence et incompatibles avec la logique de précaution. 


Clôture : Philippe Descola et la réconciliation entre humains et autres qu’humains




Philippe Descola, Anthropologue et professeur émérite au Collège de France, conclut le colloque en réinterrogeant notre conception moderne de la Nature. Les droits de la Nature apparaissent comme une réponse aux conséquences dramatiques de la révolution industrielle, responsable de la rupture entre humains et milieux de vie, et comme levier pour rétablir une symbiose perdue. Le concept même de "Nature", tel qu’employé dans les sociétés occidentales, institue une séparation entre humains et non-humains, qui justifie leur exploitation. Dès lors, l’enjeu n’est pas simplement juridique, mais philosophique : il s’agit de faire émerger un rapport d’égalité entre les entités vivantes, en cessant de les considérer comme des ressources mais comme des "autres qu’humains", sujets de droit à part entière. Il souligne que certaines sociétés, notamment autochtones, entretiennent encore aujourd’hui des relations fondées sur cette reconnaissance mutuelle, où rivières, forêts ou montagnes sont traitées comme des personnes. L’exemple du fleuve Whanganui en Nouvelle-Zélande, reconnu comme entité juridique dotée de droits, incarne cette vision. De même, au Québec, la rivière Magpie a récemment bénéficié d’une telle reconnaissance via une résolution conjointe entre autochtones et collectivités locales.


Les droits de la Nature peuvent être reconnus selon des modalités juridiques variées. En témoignent les constitutions équatorienne (2008) et bolivienne (2009), qui reconnaissent respectivement les droits de la “Madreterra” et de la “Pachamama”. Cependant, cette reconnaissance symbolique n’implique pas nécessairement de rendre les milieux naturels sujets de droit, ce qui soulève des difficultés notables quant à l’applicabilité et à l’effectivité de ces droits. Ces milieux de vie biophysiques, dont les contours peuvent être définis par la loi, doivent être au cœur des mécanismes juridiques à construire. Dès lors, la solution réside dans une redéfinition du lien entre humains et territoires : non plus penser en termes de propriété, mais d'appartenance. Il propose de passer d'une logique de possession à une logique de co-dépendance, où les humains reconnaissent qu'ils sont "possédés" par la Terre dans un acte de consentement réciproque.


Cette vision appelle à une transformation culturelle radicale. Elle exige de "réenchanter" les autres qu'humains, de les voir non plus comme des objets de gestion, mais comme des cohabitants du monde. Une révolution du droit, mais aussi des imaginaires. Comme le rappellent les militants de la zone à défendre (ZAD) de Notre-Dame-Des-Landes : "Nous ne défendons pas la Nature, nous sommes la Nature qui se défend".


Annonce de la création du Think Tank Wild Legal


Ce colloque a également été l’occasion pour Wild Legal d’annoncer la création d’un Think Tank, laboratoire d’idées, pour les droits de la Nature. Sous la coordination de Aline Treillard, cheffe de projet pédagogique et docteure en droit public, le projet a pour ambition de réunir une communauté d’expert⸱es dont les travaux sont dédiés à l’étude des droits de la Nature. A travers des groupes de travail, le programme de recherche se structure autour de deux axes : la reconnaissance constitutionnelle des droits de la Nature et la reconnaissance législative des droits de la Nature. 


Article rédigé par Nicolas Le Pajolec, stagiaire juriste Wild Legal


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