Droits de l’Océan : une marée citoyenne face aux silences diplomatiques – retour sur l’UNOC à Nice
- Marine Calmet
- 16 juin
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 17 juin

Vendredi 13 juin s’est clos la Conférence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC) à Nice. Pour l’association Wild Legal, qui réclamait l’intégration des droits de l’océan dans la déclaration politique finale, cette semaine intense fut à la fois un moment d’espoir et de déception. Espoir face à l’émergence d’une mobilisation mondiale en faveur d’une gouvernance écocentrée de l’océan ; déception face à la surdité persistante des instances de décision.
Des voix du monde entier pour un même combat : les droits de la Nature à l'agenda citoyen
Venues de plusieurs continents, les associations engagées pour les droits de la Nature étaient nombreuses à participer au sommet pour l’océan. Parmi elles, le Earth Law Center, Ocean Vision Law, The Ocean Rights Coalition UK, Eco-Jurisprudence Monitor, Earth Thrive, Global Alliance for the Rights of Nature, Huelo Matamoana Trust of Tonga, Pacific Whale Fund et le CET Law (Cetacean Legal Issues).
Chaque jour, des événements et des annonces ont fait vivre cette dynamique : de la présentation du livre Justice pour l’étoile de mer aux côtés d’autres auteur-rices engagés à la grande Marche Bleue, du procès simulé pour les droits des requins à la campagne « Moi aussi, je suis une personne » pour les baleines du Pacifique, la défense des droits de l’océan a irrigué les initiatives citoyennes, artistiques et juridiques tout au long de la semaine.
Une déclaration politique… sans souffle écocentré
Malgré une douzaine d’événements porteurs de propositions et les diverses contributions de la société civile exprimées depuis novembre 2024 en ce sens, la déclaration finale n’a pas intégré les droits de l’océan. Les deux dernières plénières furent même annulées avant la clôture du sommet, scellant le sort d'un texte qui n'a pas été modifié depuis le mois de mai.
Ce texte, fruit de négociations à huis clos, reprend les recettes habituelles : appels à la bonne gouvernance, au reporting, au financement de “l’économie bleue” et à des améliorations incrémentales. Mais il évite soigneusement les sujets qui fâchent : pas un mot sur le chalutage profond, l’exploitation pétrolière en mer ou la fin des subventions aux énergies fossiles pour le secteur de la pêche industrielle.
Alors que l’Accord cadre Kunming Montréal pour la sauvegarde de la biodiversité faisait explicitement référence aux droits de la Nature comme levier pour la protection juridique et l’inclusion de nouveaux piliers de valeurs en faveur de la défense du vivant, la déclaration finale adoptée à Nice n’en fait pas mention.
Les systèmes de valeur autochtones sont cités comme des ornements exotiques, sans traduction politique concrète.
Historiquement, l'approche du développement durable a été principalement anthropocentrique. Bien que le cadre des ODD ait bénéficié d'un large soutien, la dégradation écologique à grande échelle s'est accélérée, la nature continuant d'être valorisée pour les services qu'elle fournit aux humains plutôt que pour sa valeur intrinsèque.
Cette conférence des Nations unies n’a malheureusement pas été le lieu d’un changement de cap structurant.
Des propositions évincées, une gouvernance verrouillée
Wild Legal, aux côtés du Earth Law Center, avait soumis deux propositions concrètes d’amendement, inspirées du Cadre de Kunming-Montréal, pour inscrire les droits de la nature dans le texte final.
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Elles n’ont jamais été discutées. Dès novembre 2024, des contributions avaient été déposées ; mais entre les zones bleue (négociations) et verte (citoyenne), aucun lien réel n’a permis de faire remonter la voix des associations. Déconnexion soulevée à la tribune par la délégation du Panama à l’occasion de la cérémonie de clôture, pour appeler les organisateurs de la prochaine conférence à faire mieux…

Pourtant certains Etats ont fait part de leur volonté d’avancer sur le sujet, notamment l'île Maurice dont le premier ministre a annoncé en plénière, que le pays s’engageait dans un processus de révision constitutionnel pour inscrire les droits de la Nature au cœur de son système normatif. Nous avons pu rencontrer la délégation mauricienne et l’assurer de notre soutien dans ce travail pionnier.
La société civile porteuses de changements transformateurs
Côté annonces, la ratification de l’accord BBNJ, l’objectif de 14,8 % d’aires marines en protection forte pour la France, ou encore les engagements sur la pollution plastique ont été présentés comme des victoires. Mais aucune ne remet en cause la logique extractiviste dominante.
Les réponses structurelles attendues – gouvernance partagée, reconnaissance juridique des êtres non humains, transformation du droit maritime – restent à inventer.
Heureusement la société civile du mouvement des droits de la Nature n’était pas en reste. Voici quelques outils concrets rendus publics à l’occasion du sommet :
Une boîte à outils pour les droits des récifs coralliens, par le Earth Law Center.
Une boîte à outils de communication et de plaidoyer pour les droits de l’océan, par Ocean Legal Vision
Une task force pour défendre le principe de protection de l'Océan, par le Varda Group et Let's be Nice to the Ocean
Une déclaration pour les droits de l'Antarctique, avec la coalition Antartic Rights
Un manifeste pour les droits de la Lagune de Venise, portée par un collectif éclectique de professionnels et de personnalités publiques.
Conclusion – Le récif est ailleurs : les droits de la nature poussent depuis les territoires
Si l’UNOC a manqué le tournant historique d’une reconnaissance formelle des droits de l’océan dans la déclaration de Nice, elle a de fait confirmé que c’est au niveau local que se construisent les alternatives. Notre pétition a atteint le record de 56.000 signatures, signe que la société civile est prête à s’engager.
Collectifs citoyens, communes, juridictions progressistes : c’est depuis les territoires que les droits de la nature s’enracinent, et que la métamorphose juridique peut advenir, à terre comme en mer.

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