Droits de la Seine : récit d’une Convention citoyenne et positionnement de Wild Legal
- Marine Calmet
- il y a 3 jours
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 2 jours

L’association Wild Legal et le collectif des Gardien-nes de la Seine sont intervenus à l'occasion de la Convention citoyenne pour les droits de la Seine lancée le 5 avril 2025. Annoncé en grande pompe au Théâtre de la Concorde à Paris en décembre dernier, comment progresse ce processus de démocratie directe et quelles en sont les ambitions ? Décryptage dans cet article…
Contexte
Depuis 2021, le collectif des Gardiennes et Gardiens de la Seine œuvre à défendre la reconnaissance des droits de cet écosystème, en fédérant des acteurs engagés par le biais du droit, de l’histoire, de l’art, de la science et ainsi convoquer l’ensemble des forces en présence dans notre société pour repenser une organisation humaine compatible avec le respect des besoins du bassin versant du fleuve et protéger les droits de tous les êtres, humains et non humains. Le collectif a rédigé en 2021, une Déclaration des droits de la Seine et réalisé de nombreux événements, pour relier ses sources à l’estuaire.

Le 9 décembre 2024, s’est tenu le faux procès de la Seine organisé par la Ville de Paris en collaboration avec Wild Legal. Les grands invités du monde judiciaire, comme François Molins, Corinne Lepage ou encore Julie Couturier (Bâtonnière de l’ordre des avocats de Paris) ont appuyé sur l’opportunité des droits de la nature pour améliorer la défense du fleuve et du vivant et pour renforcer structurellement le droit de l’environnement.
C’est à cette occasion que la maire de Paris, Anne Hidalgo a annoncé la tenue de cette convention citoyenne pour les droits de la Seine.
L’organisation de la Convention citoyenne
Les 50 citoyennes et citoyens parisiens tirés au sort ont été invités à réfléchir et à délibérer sur les moyens de protéger la Seine sur le long terme, tant au niveau local que national.
Trois groupes de travail ont été mis en place :
solutions économiques / gestion des usages
solutions juridiques
solutions citoyennes et politiques
Ils sont accompagnés par une équipe d’observateurs et de garant-es, notamment Loïc Blondiaux (politologue) et Thomas Fabre (Doctorant en philosophie politique).
A l’occasion d’une première session de lancement (5 & 6 avril 2025 à l’Académie du Climat), les membres de la Convention ont prendre connaissance d’un état des lieux touchant à la Seine mais aussi de premières rencontres inspirantes, notamment avec Teresa Vicente, professeur de droit et pionnière des droits de la Nature en Espagne, à l’origine de la loi sur la lagune Mar Menor.
La contribution de Wild Legal
Wild Legal à Rouen pour inclure les acteurs de la Métropôle dans la Convention citoyenne - 22 avril
Wild Legal a participé le lundi 22 avril à une session spéciale de la Convention organisée par la Métropole de Rouen, et réunissant acteurs, élus et citoyens experts du territoire.
Au programme :
• Un temps d'écoute : des grands témoins ont partagé leurs diagnostics sur les aspects juridiques et territoriaux de la Seine. Avec Marine Calmet, Présidente de Wild Legal, Xavier Braud, Maître de conférences Université de Rouen Droit de l'environnement, Cédric Fisson, Chargé de mission « Qualité de l'eau et transfert des connaissances » du GIP Seine Aval et Caroline Motta, Cheffe de projet à l’ENSP sur le CPIER VDS/Réseau paysage
• Un temps d'action : élu-es, technicien-nes, acteurs économiques, associatifs, institutionnels et citoyen-nes, pour élaborer la position du territoire rouennais sur les droits de la Seine.
Wild Legal auprès des membres de la Convention citoyenne à l’Hôtel de Ville pour un temps d’expertise - samedi 26 avril

Pour la seconde session d’approfondissement des travaux de la Convention Wild Legal était présent le matin aux côtés du groupe travaillant à l’élaboration des solutions juridiques avec d’autres experts du droit, Victoria Chiu, Maître de conférences de la faculté de droit de Lyon, Inès Blanc-Durand, avocate au cabinet Artemisia et Norbert Foulquier, Professeur des universités en droit public et directeur du GRIDAUH (Groupement de rech. sur les institutions et le droit de l'aménagement de l'urbanisme et de l'habitat) rédacteur de l’étude sur la personnification de la Seine (2023).
A cette occasion, Wild Legal a pu présenter les enjeux majeurs entourant la reconnaissance des droits de la Nature en France, la distinction avec le droit de l’environnement actuel et les impacts sur la protection des droits de la Seine pour l’avenir.
Une note synthétique a été remise aux membres de la Convention citoyenne pour leur permettre d’approfondir leurs travaux.
Télécharger la note synthétique.
Quels sont les grands obstacles à surmonter pour obtenir la reconnaissance des droits de la Nature ? Comment les droits de la Seine impacteraient les activités économiques du fleuve ? Ces solutions juridiques doivent-elles également être accompagnées d’autres mesures pour être efficaces ? Les questions des citoyen-nes montrent le sérieux de leur travail et leur volonté de produire un avis éclairé sur la protection du fleuve.

Les échanges se sont poursuivis l’après-midi du samedi avec un forum des associations, qui a permis à l’ensemble des membres de la convention de s’entretenir avec l’association Wild Legal et le collectif des Gardien-nes de la Seine.
Résumé du positionnement de Wild Legal et du collectif des Gardiennes et Gardiens de la Seine
Un changement de paradigme : de la gestion des ressources à la reconnaissance des droits
Depuis plusieurs années, l’association Wild Legal et le collectif des Gardiennes et Gardiens de la Seine mènent un travail de fond pour faire émerger un cadre juridique inédit : celui de la reconnaissance des droits de la Nature. Ce mouvement, qui puise ses racines dans des références éthiques et juridiques fortes – d’Aldo Leopold à Christopher Stone – propose une refondation de notre rapport au vivant. Il ne s’agit plus seulement de gérer les ressources naturelles pour les humains, comme le fait traditionnellement le droit de l’environnement, mais de reconnaître la Nature comme sujet de droit à part entière, avec ses propres besoins, intérêts et dynamiques écologiques.
La Seine, une entité vivante avec des droits fondamentaux
Cette perspective transforme radicalement notre manière de concevoir la Seine. Aujourd’hui classée comme « bien commun » inappropriable selon le Code civil, elle reste juridiquement considérée comme une ressource au service des usages humains. Les droits de la Nature proposent au contraire de reconnaître le fleuve comme une entité vivante, avec des droits fondamentaux à exister, à évoluer librement, à ne pas être polluée, à régénérer ses écosystèmes et à préserver sa biodiversité. C’est tout l’objet de la Déclaration des droits de la Seine, rédigée collectivement en 2021, qui s’inscrit dans une dynamique internationale, aux côtés des droits du fleuve Whanganui en Nouvelle-Zélande, du fleuve Atrato en Colombie ou encore de la lagune Mar Menor en Espagne.
Refonder la gouvernance pour représenter les intérêts plus qu’humains
Concrètement, cela suppose une évolution juridique et politique profonde. Wild Legal et le collectif appellent à intégrer une gouvernance écocentrée, capable de représenter les intérêts plus-qu’humains dans les décisions publiques. Plusieurs options sont proposées : créer un organe de représentation autonome pour la Seine, réformer les structures existantes pour garantir un véritable équilibre entre les intérêts humains et écologiques, ou encore élargir l’actio popularis pour permettre à tout citoyen de défendre les droits du fleuve en justice. Des modèles étrangers comme l’Équateur ou l’Espagne démontrent que ces innovations sont possibles et efficaces, sans engorger les juridictions, tout en renforçant la démocratie environnementale.
Des expérimentations locales en France, mais un cadre juridique encore manquant
En France, une trentaine d’initiatives locales expérimentent déjà ces démarches, de la Déclaration du lac de Grigny aux recours pour les droits du fleuve Maroni, en passant par des pétitions, des vœux municipaux ou des outils de planification écocentrée. Toutefois, ces dynamiques restent fragiles faute d’une reconnaissance juridique nationale. C’est pourquoi Wild Legal milite pour une réforme ambitieuse pour laquelle plusieurs scénarios sont possibles :
soit par le biais d’une nouvelle Constitution,
par une loi-cadre pour les droits de la Nature,
soit par une loi spécifique pour les droits de la Seine,
ou encore, par une loi d’expérimentation qui permettrait à des territoires pilotes de tester ce nouveau paradigme juridique.
Des outils concrets pour remettre en cause les projets écocides
La reconnaissance des droits de la Nature est loin d’être un enjeu cosmétique ou symbolique face aux grands projets qui menacent aujourd’hui l’intégrité du bassin versant du fleuve Seine. À l’image du projet du canal Seine-Nord Europe ou de l’aménagement de la Bassée, ces outils juridiques permettraient de contester des projets destructeurs en s’appuyant non seulement sur des données scientifiques, mais aussi sur la reconnaissance des droits intrinsèques des milieux naturels. Ils ouvriraient la voie à une planification plus respectueuse des cycles écologiques, en donnant au fleuve – et aux citoyens qui le défendent – une voix pleine et entière dans les processus de décision.
Conclusion
Une dernière session de travail et de restitution s’est tenue le 3 mai. La Convention citoyenne sera clôturée par une restitution officielle au mois de juin à l’occasion du Conseil de Paris.
Wild Legal et le collectif des Gardiennes et Gardiens de la Seine poursuivent leurs actions et mobilisation sur l’ensemble du bassin versant. De nombreux événements sont à venir dans le cadre de l’appel des Soulèvements de la Seine de mai à juillet. Retrouvez toutes les rencontres des mois à venir ici…
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