Chronique n°3 du Conseil de l’Europe - L’écocide écarté au profit d’une infraction plus restreinte
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Chronique n°3 du Conseil de l’Europe - L’écocide écarté au profit d’une infraction plus restreinte

Alors que la directive européenne de protection de l'environnement par le droit pénal venait d’être votée par le Parlement européen, les discussions se sont poursuivies au Conseil de l’Europe sur le projet de Convention de protection de l’environnement par le droit pénal, entre le 27 et le 29 février 2024. Les experts de Wild Legal étaient présents afin de faire entendre la voix de la société civile en faveur de la reconnaissance du crime d’écocide, et pour une approche globale de la protection judiciaire de l’environnement.


© Conseil de l'Europe


Le comité d’experts sur la protection de l’environnement par le droit pénal (PC-ENV) s’est réuni pour la troisième fois avec pour objectif d'acter une première version de la future convention du Conseil de l’Europe sur la protection de l’environnement et le droit pénal. Rappelons que le Conseil de l’Europe, organisation de promotion et de défense des droits humains qui englobe 46 pays, souhaite au travers notamment de ce projet de convention voir progresser de manière significative les relations entre sauvegarde des droits humains et protection de l’environnement. Le droit pénal est un des moyens de renforcer ce lien. 


Dans le cadre des travaux de cette convention, l’article 27 intitulé “écocide” était un des aspects centraux des débats. 


Le projet de Convention “protection de l’environnement par le droit pénal” en bref 


Le projet de Convention de protection de l’environnement par le droit pénal compte plus du double d’infractions par rapport à la Convention de 1998 sur le même sujet, qui n’est jamais entrée en vigueur, faute de ratification. Une vingtaine d’infractions environnementales pourraient être consacrées au niveau du Conseil de l’Europe si ce nouveau projet abouti. 


La majorité des infractions du projet de Convention vise un comportement spécifique qui cause ou est susceptible de causer un dommage substantiel à la qualité de l’air, la qualité du sol, la qualité de l’eau ou aux animaux ou aux plantes (ou faune et flore selon la rédaction qui sera retenue dans le texte final). D’autres infractions visent des dommages plus particuliers comme les infractions liées aux rejets de substances polluantes par les navires qui sanctionnent certains comportements lorsqu’ils causent ou sont susceptibles de causer la détérioration de la qualité de l’eau ou un dommage à l’environnement marin. 


Si ces infractions promettent une avancée dans la lutte contre la criminalité environnementale, Wild Legal redoute cependant que ces dernières deviennent rapidement obsolètes. Elles risquent de perdre leur efficacité  au fil des évolutions scientifiques et technologiques mais aussi face à l’adaptation des comportements criminels aux évolutions législatives. Ces évolutions conduiraient à créer de nouvelles incriminations par un protocole additionnel ou toute autre forme de convention internationale, procédure lourde à mettre en œuvre. 


C’est pourquoi Wild Legal a plaidé pour l’inscription du crime d’écocide reposant sur une approche transversale de la protection des milieux naturels permettant d’appréhender les atteintes systémiques à l’environnement.


La progression de l’écocide dans les législations nationales : un contexte favorable ?


Ces discussions interviennent alors que l’écocide fait justement son apparition pour la première fois dans le code pénal d’un pays membre de l’Union européenne. En effet, la Belgique a adopté le projet de réforme du code pénal qui consacre le crime d’écocide le 22 février. 


L’article 94 du futur code pénal belge prévoit que “le crime d’écocide consiste à commettre délibérément, par action ou par omission, un acte illégal causant des dommages graves, étendus et à long terme à l’environnement en sachant que cet acte cause de tels dommages, pour autant que cet acte constitue une infraction à la législation fédérale ou à un instrument international qui lie l’autorité fédérale ou si l’acte ne peut pas être localisé en Belgique”. 


Plus largement, la reconnaissance de l’écocide progresse au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe. Certains pays l’ont inscrit dans leurs droits internes de longue date comme l’Ukraine, la Géorgie, la Moldavie et l'Arménie. D’autres ont consacré des infractions qui s’en rapprochent comme le désastre environnemental dans le code pénal italien ou le délit d’écocide en France.  


Des propositions législatives se multiplient comme aux Pays-Bas, en Ecosse, en Suède ou en Catalogne.  Ce n’est pas le fruit du hasard, ces initiatives révèlent un renforcement continu du droit pénal environnemental. Elles illustrent également la volonté de plus en plus forte de la société civile d’en finir avec l’impunité en matière de criminalité environnementale.


Notre proposition de rédaction de l’article 27 sur l’écocide


S’agissant de l’article 27 relatif à la définition de l’écocide, une première proposition à l’initiative du Conseil de l’Europe prévoyait d’incriminer l’écocide comme “toute action couverte par le champ des infractions établies conformément à la présente convention, lorsque cette action entraîne, et est commise en sachant qu'il existait une réelle probabilité qu'elle entraîne des dommages graves et étendus, ou graves et durables, ou graves et irréversibles à la santé humaine ou à l'environnement”. 


Wild Legal propose pour sa part une définition alternative du crime d’écocide comme “tout comportement illégal ou arbitraire, lorsqu'un tel comportement cause, et est commis en sachant qu’il existait une réelle probabilité que ce comportement pourrait causer un dommage grave et étendu, grave et durable, ou grave et irréversible à la santé humaine ou à l’environnement”.


Pour Wild Legal, il est essentiel d’élargir l’écocide aux dommages écologiques indépendamment de leur appartenance au “champ des infractions établies conformément à la présente convention”. 


Fidèle à son engagement pour la reconnaissance du crime d’écocide, Wild Legal a travaillé en amont de cette troisième rencontre avec d’autres ONG (Stop Ecocide, European Environmental Bureau, Global initiative to End Wildlife Crime, Wildlife Justice Commission) afin d’établir une note de positionnement détaillant sa proposition de rédaction pour cet article  27. 


Wild Legal a également réalisé plusieurs rencontres bilatérales avec certaines délégations et des représentants de la Commission européenne pour présenter ses propositions. 


Le document envoyé aux délégations nationales en amont de la rencontre avait pour finalité de les sensibiliser aux enjeux juridiques et aux subtilités politiques et pratiques qui entourent cette infraction novatrice. 


Pour Wild Legal, reprenant la définition du panel d’experts indépendants, la création de cette nouvelle infraction est justifiée par la gravité des comportements visés par l’écocide. Ces derniers ont des effets exceptionnellement graves ou irréversibles sur les différentes composantes de l’environnement. L'infraction doit alors couvrir les cas de catastrophes ou de désastres environnementaux comme le précisent à juste titre la plupart des définitions de l’écocide existantes dans les droits internes de certains Etats membres du Conseil de l’Europe. 


A ce titre, l’écocide devrait sanctionner l’ensemble des comportements causant ces dommages les plus graves, sans être limité aux seuls comportements incriminés par les autres infractions de la Convention. Ce point de vue a été rejoint par les positions des délégations de la Norvège et de l’Ukraine. Ainsi, pour la représentante ukrainienne de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, il s’agissait de consacrer l’écocide pour combler une “lacune criante du droit international.


Cette proposition n’a cependant pas été suivie. La définition de l’article 27 retenue s’éloigne de la définition idéale du crime d’écocide, telle qu’elle a été proposée par le panel international d’experts mandaté par la Fondation Stop Ecocide en 2021 car elle est liée, pour s’appliquer, aux autres infractions de la Convention. 


Par ailleurs, le terme de “comportement” est proposé comme alternative à celui d’“action”. La version anglaise du projet de Convention fait référence à des "actions" causant des dommages, alors que la version française mentionne des "comportements" qui pourraient couvrir des conduites positives (actions) mais aussi passives (omissions). Afin de clarifier cette incertitude, nous avons proposé de modifier la version anglaise en remplaçant le terme "action" par "behaviour" ou "conduct". Il s'agit donc d'englober à la fois les actions et les omissions. Un comportement passif, c'est-à-dire le fait de s'abstenir de prendre les mesures nécessaires pour éviter la réalisation d'un dommage ou en limiter les conséquences, pourrait également être considéré comme la cause d'un écocide et faire l'objet de poursuites. 


La rédaction finalement retenue lors de cette seconde lecture renvoie à “toute infraction établie conformément à la Convention commise intentionnellement”. La question de l’incrimination des comportements d’omissions est donc renvoyée à chaque infraction, au cas par cas. 



L’alignement de l'article 27 du projet de Convention sur “l’infraction qualifiée” de la directive européenne 


Au sein du comité d’experts, la Commission européenne, a reçu un mandat pour s’exprimer au nom de 25 Etats membres de l’Union concernés. La voix portée par la délégation de la Commission européenne représente donc la majorité des Etats membres du Conseil de l’Europe (25 sur 46 États). 


Étant donné la très récente adoption de la directive européenne de protection de l'environnement par le droit pénal, sans surprise, au cours de ces trois jours de négociations, la Commission a amendé le projet de Convention pour l’aligner sur le texte communautaire.


C’est ainsi que l’article 27 de la Convention initialement intitulé “écocide” s’est provisoirement muté en “infraction qualifiée” comme cela est désormais consacré dans la directive, dont le préambule souligne que cette infraction peut couvrir des “comportements comparables à l’écocide”. 


Que dit l’article 27 à ce jour ? 


Si l’article 27 de la Convention ne consacrera donc pas officiellement le crime d’écocide, tel que le recommandait Wild Legal, il crée une nouvelle infraction permettant d’appréhender les situations d’une particulière gravité qui s’en rapprochent. 


La proposition actuelle de rédaction du comité d’experts prévoit qu’une telle infraction sera retenue dans tous les cas où une infraction entrant dans le champ  de la Convention cause la destruction ou un dommage étendu, grave qui est soit irréversible soit durable, à un écosystème d’une taille ou d’une valeur environnementale considérable, ou à un habitat situé dans un site protégé, ou à la qualité de l’air, du sol ou de l’eau. Cette définition reprend en substance, et presque mot pour mot, la définition de l’infraction qualifiée retenue à l’article 3 de la directive


Cependant, il faut constater que la définition retenue marque une avancée indéniable en introduisant une infraction commune à l’ensemble des Etats qui signeront et ratifieront la convention pour appréhender les manquements les plus graves et les plus dommageables. 


L’accord ainsi trouvé entre les Etats devrait être considéré comme une première marche vers une reconnaissance universelle de l’écocide


Pour Vincent Delbos, magistrat honoraire et expert au Conseil de l’Europe pour Wild Legal, “la définition retenue a l’avantage d’être cohérente avec l’infraction qualifiée retenue par la directive ce qui permettra incontestablement  de faciliter la coopération judiciaire dans la mise en œuvre effective de cette infraction”. 


Le comité d’experts se réunira une dernière fois en juin 2024 pour conclure la rédaction du projet de Convention, en revenant sur certains articles. Il s’agira également d’acter à la fois le préambule et la note explicative de la Convention. Une référence à l’écocide pourrait être intégrée à ce niveau, comme c’est le cas pour la directive européenne. 


Les propositions de Wild Legal pour une approche globale de la protection judiciaire de l’environnement 


Dès l’origine de sa participation aux travaux au comité d’experts, Wild Legal a souligné que la protection de l’environnement par le droit pénal relevait d’une approche systémique incluant prévention, répression et réparation. 


A ce titre, dans une première note de positionnement d’octobre 2023, Wild Legal a soutenu plusieurs propositions dont l’introduction d’une nouvelle forme de sanction, les accords judiciaires de poursuites environnementales différées, inspirées du deffered prosecution agreement (DPA) en vigueur aux Etats Unis et surtout de la convention judiciaire d’intéret public environnemental (CJIPE) introduite en France par la loi du 24 décembre 2020. 


Cette sanction de justice négociée, à destination des personnes morales allie paiement d’une amende pour une infraction reconnue mais aussi discussion d’une convention, mettant en ordre, sous contrôle d’un juge, des mesures correctrices, de réparation et de remise en état. Cette proposition (qui sera débattue en séance au mois de juin) a reçu un premier accueil plutôt positif.


De manière générale, Wild Legal, dans la discussion article par article, a soumis une série d’amendements rédactionnels permettant de préciser, d’éclairer ou d’approfondir les définitions et les catégories visées par la convention.


Plusieurs sujets restent encore en débat, comme le mécanisme de suivi de la future convention, essentiel pour veiller à l’effectivité de la future Convention. Wild Legal propose la mise en place d’un dispositif indépendant et de monitoring comme il en existe dans d'autres conventions du Conseil de l’Europe, comme ceux mis en place pour la Convention d’Istanbul sur les violences faites aux femmes ou le GRECo sur la prévention et la lutte contre la corruption. 


En route vers la Cour pénale internationale :  les prochaines batailles pour la reconnaissance du crime d’écocide  


Parallèlement à ces discussions au niveau européen, le Procureur de la Cour pénale internationale a annoncé une consultation publique sur un nouveau projet de politique générale visant à établir les responsabilités pour les crimes environnementaux en vertu du Statut de Rome. Nous avons donc jusqu’au 16 mars 2024 pour faire entendre notre voix et plaider en faveur de l’inscription de l’écocide dans le Statut de Rome ! 


Pour soutenir le réseau Stop Ecocide foundation International et soutenir la reconnaissance du crime d’écocide auprès de la Cour pénale internationale, signez la pétition internationale !

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