Le 9 avril 2021, les député.es votaient les articles relatifs à l’orpaillage illégal intégrés dans la loi Climat. Malgré des avancées sur le volet répressif, Wild Legal s'interroge sur le manque de recul sur les problématiques environnementales, sanitaires et économiques de l’orpaillage illégal. Nous revenons ici en détail sur les différentes dispositions adoptées.
Censé transcrire dans la loi les travaux de la Convention Citoyenne pour le Climat, le projet de loi “Climat et Résilience” comportait dans ses articles 20 et 21 des mesures portant sur le secteur minier. La réforme de ce domaine d’activité, en discussion depuis de nombreuses années, est arrivée “comme un cheveu sur la soupe dans la loi Climat” raconte Gabriel Serville, député de la 1ère circonscription de Guyane et rapporteur de la Commission d’enquête parlementaire sur la lutte contre l’orpaillage illégal. “On nous avait promis un projet de loi dédié à la question minière, mais il est passé à la trappe avant d'être finalement raccroché à un texte, déjà massif, sous la forme de deux articles, dont une habilitation à réformer l'ensemble du Code minier par ordonnances” relate-t-il.
Un renforcement du dispositif répressif contre l'orpaillage illégal
Les députés se sont prononcés sur l'alourdissement des sanctions contre les orpailleurs illégaux (article L521 et suivants du Code minier). Les peines passent de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 30 000 euros à cinq ans et 100 000 euros d’amende. Le projet de loi prévoit la création de circonstances aggravantes si l’infraction entraîne une atteinte à l’environnement (375 000€ d’amende), si elle est commise dans un espace naturel protégé (sept ans d’emprisonnement et un million d’euros d’amende) ou en bande organisée (dix ans d’emprisonnement et 4,5 millions d’euros).
Cette précision est importante car elle pourrait s’appliquer à l’orpaillage affectant le parc amazonien de Guyane, où le nombre de sites illégaux reste très élevé, avec 148 sites identifiés en janvier 2021. Les orpailleurs étrangers condamnés pour l’une de ces infractions encourent désormais une peine complémentaire d’interdiction de territoire, soit à titre définitif, soit pour une durée de dix ans maximum. Une peine efficace ? Actuellement, lorsque les gendarmes contrôlent des exploitants clandestins sur les sites d'orpaillage, ils leur remettant déjà des "OQTF" (obligation de quitter le territoire français). Mais pour expulser un travailleur illégal, il faudrait affréter un hélicoptère et les forces de l'ordre manquent cruellement de moyens. Les orpailleurs sont invités à rentrer "chez eux" à pied à travers la forêt. Dans les faits, les sanctions restent donc lettre morte.
Par ailleurs, les sanctions applicables aux piroguiers qui transportent les marchandises visant à approvisionner des sites d’orpaillage clandestins sont accrues : elles passent de trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende (article L621-8-3 du Code minier) à 100 000 euros d’amende. L’objectif est ici de mieux lutter contre le système logistique qui soutient les orpailleurs et de viser l'approvisionnement des chantiers clandestins.
Les député.es ont également voté l’élargissement des prérogatives judiciaires des agents de l’Office National des Forêts (ONF) et des inspecteurs de l’environnement de l’Office Français de la Biodiversité (OFB). Ils sont désormais habilités à constater les infractions au Code minier dans le cadre de la lutte contre l’orpaillage illégal. La loi "Égalité réelle Outre-Mer” de 2017 avait déjà permis aux inspecteurs de l’environnement du Parc amazonien de constater ce type d’infraction sur le territoire du parc (article L511-1 du Code minier). Cependant leur faible nombre (14 inspecteurs en 2020 pour faire face à environ 10 000 chercheurs d'or) limitait grandement leur impact réel contre les activités clandestines.
La possibilité de report du début d’une garde à vue ou d’une retenue douanière (équivalent de la garde à vue pour les infractions douanières) a également été entérinée. Pour toutes les infractions au Code minier, le début légal de ces mesures de rétention peut être reporté jusqu’à l’arrivée dans les locaux où elles doivent se dérouler, ce report ne pouvant excéder vingt heures. Les sites d’orpaillage étant généralement difficiles d’accès, le rapatriement des prévenus hors de la forêt prend généralement un temps important. Ce type de report, qui n’était auparavant possible que pour les infractions les plus graves au code minier (article L621-8 du code minier) et qui ne concernait pas les retenues douanières, permet ainsi d’adapter le droit aux difficultés matérielles de déplacement rencontrées en Guyane.
Les député.es ont aussi voté un renforcement des prérogatives des agents de police judiciaire (APJ) dans le cadre de la lutte contre l’orpaillage illégal. Alors que seuls les officiers de police judiciaire (OPJ) y étaient habilités, les APJ peuvent dorénavant réaliser des contrôles d’identité, des visites de véhicules ou d'embarcations et des fouilles de leurs contenus. Le nombre d’OPJ étant limité, des patrouilles exclusivement composées d’APJ se retrouvaient régulièrement sur le terrain dans l'impossibilité d’effectuer ce genre d’opérations au regard de la loi.
Seul amendement de l’opposition sur le sujet qui a été approuvé par le gouvernement et adopté dans l'hémicycle, la mesure du député Gabriel Serville portant sur la traçabilité de l’or. Tous les sites d’exploitation devront désormais enregistrer leur production et leurs transferts d’or selon des modalités qui restent encore à fixer au Conseil d'État. L’objectif est ici d’empêcher que de l’or extrait illégalement en Guyane ne s’insère dans la filière légale, ce qui est aujourd’hui le cas puisque la quantité d’or déclarée à l'exportation aux douanes guyanaises est systématiquement supérieure à celle déclarée par les fabricants et les marchands d'or. Des mesures de contrôle et de traçabilité existent déjà dans le secteur, notamment pour les fabricants d’ouvrage en or qui doivent tenir un livre de police (le registre de leurs achats, ventes, réceptions et livraisons) et graver un poinçon spécifique sur leur production (respectivement articles 537 et 533 du CGI). Ces obligations sont donc désormais étendues en amont de la chaîne de production, dès le site d’extraction.
Enfin, le sous-alinéa I-4-d de l’article 21 vise à remédier aux destructions environnementales engendrées par les chantiers clandestins. Il habilite le gouvernement à prendre des ordonnances pour “faciliter la réhabilitation des sites ayant été le siège d’activités illégales d’orpaillage”. Ces ordonnances ne pourront cependant être prises qu’une fois la loi définitivement adoptée par le Parlement, soit à l’été 2021, et il est donc pour l’instant impossible d’analyser les mesures qui seront effectivement mises en œuvre par leur biais. Jusqu'ici le Parc amazonien de Guyane était réticent à l'idée de réhabiliter les anciens sites d'orpaillage, notamment en raison de la probabilité que ces derniers soient à nouveau exploités et donc détruits par la suite. Une nouvelle politique en la matière pourrait donc être annoncée dans les mois qui viennent.
Limites et angles morts des politiques répressives
Ces différentes mesures visent essentiellement à renforcer la répression contre les orpailleurs clandestins et leur système logistique. Elles s’inscrivent ainsi dans une approche qui montre ses limites depuis de nombreuses années. En effet, l'efficacité du durcissement des peines doit être appréciée au regard du faible nombre de condamnations prononcées. Comme le ministre des Outre-Mer, Sébastien Lecornu, l’expliquait le 17 mars dernier devant la Commission d’enquête parlementaire portant sur cette problématique ; seules 99 personnes ont été condamnées entre 2018 et 2020 dans le cadre de la lutte contre l’orpaillage illégal. Les garimpeiros ("chercheurs d'or") connaissent parfaitement la forêt et les moyens des forces de l'ordre sont limités, il est donc très difficile de faire appliquer la loi.
L’efficacité réelle de cette réforme découlera donc des moyens financiers et humains que l'État y engagera et il est pour l’instant loin du compte. “On demande aux agents de l'ONF et du parc national de venir en appui sur des missions de lutte contre l'orpaillage illégal mais dans le même temps on baisse le budget de l'ONF et on réduit les effectifs du parc” fait remarquer le député Gabriel Serville, qui critique cette “dichotomie entre la volonté affichée et la réalité des moyens déployés sur le terrain”.
Ce manque de moyens humains est également le propre du système judiciaire guyanais, en sous-effectif depuis de nombreuses années. En janvier 2020, le rapport du Sénat “Pour une grande loi Guyane : 52 propositions” – qui formule par ailleurs la plupart des mesures contre l’orpaillage illégal qui viennent d’être adoptées – dressait un constat sans appel : ”alors qu'un effort est fait depuis 2017 sur les effectifs des forces de l'ordre, tel n'a pas été le cas sur ceux de la justice”. Les sénateurs y pointent le “nécessaire renforcement des moyens de la chaîne judiciaire”, en préconisant notamment “d'augmenter les postes de magistrats afin que l'institution judiciaire puisse suivre l'augmentation des constatations.” Une proposition à laquelle le gouvernement n'a pas donné suite.
Au-delà des limites de l’ensemble de ces mesures répressives, l’association Wild Legal déplore enfin et surtout le manque de mesures permettant de lutter contre les conséquences environnementales, sanitaires et économiques de l’orpaillage illégal. Le seul amendement qui abordait frontalement l’ensemble de ces problématiques, déposé par Gabriel Serville et soutenu par des parlementaires de tous bords politiques, a été rejeté par la majorité. Son adoption aurait permis d’inscrire dans la loi l’obligation pour l’Etat de lutter “contre la pollution au mercure en Guyane, ainsi que les impacts que cette pollution génère sur la santé, l’environnement et la biodiversité”. Un rejet de la majorité “incompréhensible” pour le député de Cayenne, alors que “6 à 10 tonnes de mercure continuent d’être déversées chaque année dans les rivières guyanaises, empoisonnant au passage des milliers de riverains”. Comme l’indique l’exposé sommaire de l’amendement, “l’action des pouvoirs publics se limite principalement à l’information des populations sur les dangers liés à la consommation de poissons carnivores” et devrait couvrir de nombreux autres champs d’actions.
Wild Legal et ses partenaires mènent campagne depuis 2019 pour porter des propositions qui permettraient, outre le volet répressif, d’aborder les conséquences de l’orpaillage illégal sous l’angle sanitaire, social et écologique. Les droits des écosystèmes forestiers et fluviaux de l’Amazonie, ainsi que ceux des peuples de Guyane qui en dépendent, sont bafoués depuis des décennies. Nous attendions une loi Climat à la hauteur de la gravité de leur situation.
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