DÉCRYPTAGE | Reconnaissance des droits de la nature dans les Îles Loyauté, Nouvelle-Calédonie
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DÉCRYPTAGE | Reconnaissance des droits de la nature dans les Îles Loyauté, Nouvelle-Calédonie

Dernière mise à jour : 7 sept. 2023

Le 29 juin 2023, l’Assemblée de la province des Iles Loyauté a adopté une délibération faisant des entités naturelles des sujets de droit. Dans cet article, Wild & Legal propose un décryptage de cette réglementation, qui débouche sur le renforcement explicite des droits de la nature dans le Code de l’environnement applicable à cette province.


Le contexte écologique et humain sur les Îles Loyauté


Pour comprendre cette évolution légale, il est nécessaire de revenir sur la structure institutionnelle des îles Loyauté.


En effet, la Nouvelle-Calédonie est une collectivité d'outre-mer (COM) à statut particulier dans le droit constitutionnel français. Elle peut adopter des "lois du pays" dans certains domaines, énumérés par la loi organique précisant son statut. A partir de 1988 et de la signature des accords de Matignon, les trois provinces de Nouvelle-Calédonie créées à cette époque sont ainsi devenues compétentes en matière d'environnement.


Jusqu’en 2011, la province des Îles Loyauté demeurait la dernière à n’avoir pas entamé de processus de codification en matière d’environnement.


La flore et la faune des îles Loyauté présentent un important taux d'endémisme et la nature y est relativement bien préservée, comme le démontrent ses écosystèmes terrestres et marins remarquables. Pour autant, des dégradations menacent cette nature exceptionnelle, comme la destruction d'espaces naturels pour les besoins urbanistiques ou pour des projets hôteliers. Ces menaces sont directement corrélées aux activités humaines et certains de ces comportements sont par ailleurs perçus comme des intrusions sur les espaces sacrés. C’est notamment le cas de la circulation de certains plaisanciers.


Malgré les règles orales et coutumières de "non-accès" à certains endroits, celles-ci sont difficilement opposables aux étrangers. A cela s’ajoute le constat d’une perte de légitimité des autorités coutumières, par l’effet de siècles de colonisation et en dépit de la reconnaissance des droits propres aux Kanaks.


Puisque les statuts juridiques coloniaux et postcoloniaux ont ôté aux autorités coutumières le pouvoir judiciaire, il a été nécessaire d’user d’autres moyens juridiques pour édicter de nouvelles règles et les faire appliquer. Dans ce cadre, les autorités coutumières ont pris les devants en imaginant de nouvelles dispositions juridiques.


Un Code de l’environnement provincial conciliant droit coutumier, vision autochtone et droit français


Dans la lignée du précédent en Nouvelle-Zélande consacrant un statut d’entité vivante au fleuve Whanganui, la province des Iles Loyauté a choisi d’intégrer les outils issus du mouvement des droits de la nature dans son Code de l’environnement provincial.


Lors d’un entretien réalisé par Marine Calmet, Victor David, juriste chargé de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et membre d’un groupe d’experts de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), affirme que cette approche répond à la nécessité de “raccrocher les wagons en Nouvelle-Calédonie, sur une terre autochtone avec un droit français inadapté à la culture kanak”. A la demande des autorités locales, ce chercheur a accompagné la rédaction de ce Code pour concilierdroit coutumier, vision autochtone et droit français.


L’objectif fut d’élaborer un droit de l'environnement spécifique à la province des Iles Loyauté, conforme à l'éthique environnementale des Kanaks, à leur culture et à leur vision ancestrale de la nature.


Le Code a été rédigé selon une méthode participative, par la consultation des autorités coutumières des trois îles composant les îles Loyauté (représentant trois aires coutumières différentes). La reconnaissance des droits des entités naturelles est donc le fruit de nombreuses réunions de concertation, afin d’adapter les concepts issus des droits de la nature à la cosmovision autochtone kanak et pour s'assurer de l'adhésion des populations.


Les grands principes du Code de l’environnement provincial


En 2019, une première partie du Code de l’environnement de la province des Îles Loyauté a été publiée, contenant les grands principes fondateurs.


L’article 110-3 du Code prévoit la définition d’un principe clé : le principe unitaire de vie : “Le principe unitaire de vie qui signifie que l’homme appartient à l’environnement naturel qui l’entoure et conçoit son identité dans les éléments de cet environnement naturel constitue le principe fondateur de la société kanak. Afin de tenir compte de cette conception de la vie et de l’organisation sociale kanak, certains éléments de la Nature pourront se voir reconnaître une personnalité juridique dotée de droits qui leur sont propres, sous réserve des dispositions législatives et réglementaires en vigueur”.


Cette définition est à souligner car elle affirme que l'Homme et la Nature sont indissociables et ne font qu'un. Ainsi, puisque les droits humains sont reconnus, il est logique de pouvoir reconnaître les droits dont disposent les autres éléments du vivant. C’est le fondement de la reconnaissance des droits de la nature.


De plus, lors de l’entretien, Victor David explique que les élus ont souhaité la reconnaissance de certains éléments spécifiques de la nature car il existe une personnification de la nature dans la culture kanak : “C'est une société animiste qui associe aux animaux et aux végétaux des propriétés, et ces espèces sont des totems pour les différents clans selon les îles. Ce qui fait qu'une espèce peut être totémique sur une île et pas sur l'autre.”


Pour cette raison, le statut de sujet de droit ne vise pas "la nature" dans sa globalité comme le fait la Constitution de l'Équateur par exemple.


L’apport de la délibération du 29 juin 2023


La délibération de l’Assemblée de la province des îles Loyauté a complété, ce 29 juin 2023, le chapitre relatif aux espèces protégées, en intégrant plusieurs articles venant reconnaître un statut de protection renforcée aux requins ainsi qu’aux tortues marines (Article 242-17 du Code de l’environnement provincial).


Ainsi, l’article 242-16 du même Code prévoit désormais que :


"[...] Les éléments de la nature, espèces vivantes et sites naturels énumérés à l’article 242-17 se voient reconnaître la qualité d’entité naturelle sujet de droits. Des droits fondamentaux leur sont reconnus. Elles n’ont pas de devoirs. Ni les entités naturelles sujets de droit, ni leurs porte-paroles, ni la province des îles Loyauté ne peuvent être tenus responsables d’éventuels dommages qu’elles pourraient causer."


Cette reconnaissance permet l’énonciation des droits fondamentaux à l’article 242-18 de ce Code dont :

1) Le droit à un environnement naturel équilibré, non pollué et non contaminé par les activités humaines et à la protection de leur intégrité physique, chimique, spirituelle ou esthétique ;

2) Le droit de ne pas faire l’objet de divisions en vue d’une occupation humaine permanente ou temporaire ou d’exploitation des ressources vivantes ou minérales qui y sont présentes ;

3) Le droit de n’être la propriété de quelque État, province, groupe humain ou individu ;

4) Le droit à exister naturellement, à s’épanouir, à se régénérer dans le respect de leur cycle de vie et à évoluer naturellement. Il ne peut y être dérogé que dans un cadre coutumier strictement encadré et tel que défini à l’article 242-19 ;

5) Le droit de ne pas être gardées en captivité ou en servitude, de ne pas être soumises à un traitement cruel et de ne pas être retirées de leur milieu naturel ”.



La mise en place d’une gouvernance adaptée


La reconnaissance des droits de la nature implique la mise en place d’une gouvernance nouvelle, car les entités naturelles protégées doivent pouvoir être représentées en justice. Ainsi, selon l’article 242-16, alinéa 4, sont compétents pour représenter les droits de ces espèces :

  • Le président de la province des îles Loyauté ;

  • Les associations agréées pour la protection de l’environnement ;

  • Les groupements de droit particulier local (GDPL) à vocation environnementale (regroupements de clans qui ont un intérêt totémique ou foncier par rapport à un espace protégé).

  • Les porte-paroles des entités naturelles. Chaque entité naturelle dispose de six porte-paroles : trois personnes désignées par le président de la province, puis une personne désignée sur chacune des trois aires coutumières selon ses us et coutumes propres.

Comme en témoigne Victor David : “Quasiment sur chaque île, il y a des clans qui portent le nom de requins, donc les personnes qui seront prioritaires pour être désignées porte-paroles, ce seront en théorie les personnes des clans qui portent les noms de requins.


De nouvelles entités naturelles pourraient être reconnues sujet de droits à l’avenir car l’article 242-17, alinéa 2 de ce Code prévoit la possibilité d’un futur élargissement de cette protection à d'autres espèces. Cette extension peut intervenir à l’initiative de l’Assemblée de la province des îles Loyauté sur proposition des autorités coutumières, des GDPL à vocation environnementale ou encore du président de l'Assemblée de province après avis des autorités coutumières.


Conclusions


Si ce travail réalisé en Nouvelle-Calédonie est inspirant, il n'est pas nécessairement transposable ailleurs, où la marge de manœuvre pour intégrer les droits de la nature est plus réduite. Cependant, ce premier pas réalisé en France est le marqueur d'une volonté partagée de renforcer la protection et la défense de la Nature face aux enjeux de la crise écologique.


Cette victoire ne manquera pas d'inspirer de très nombreuses mobilisations en France, notamment auprès des sites pilotes accompagnés par l'association Wild Legal au sein du programme Ma rivière c'est moi.



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